En plein dans la gueule du loup

Le marché est un endroit fait pour les petits voleurs dans mon genre. C'est du sur mesure ! Des dizaines et des dizaines de personnes regroupées sur une seule et même place, pensant que la chaleur de leurs poches est suffisante pour protéger leurs économies. Ô utopie ! Ô illusion. Qu'ils se donnent à coeur joie de leurs rêveries ! Que jamais ils ne réalisent à quel point ils se trompent. Qu'ils continuent, tous autant qu'ils sont, à se croire capable de tromper les petits voyous de ma trempe ! Que jamais cela ne change, c'est parfait pour mon business. Pendant qu'ils vident leurs poches aux étalages du marché, marchandant difficilement, les miennes se remplissent allègrement !

C'est le coeur léger et l'esprit baignant dans une rivière d'illusions, que le jeune Ismaël se remplissait les poches de dorures et de bijoux ce matin-là. Bousculant habilement les passants, se mêlant à la foule, il gagnait tranquillement son pain, sans que personne ne le remarque. Dans son orgueil florissant, Toeless se croyait invincible. Persuadé que jamais personne ne découvrirait son petit jeu. Et pour cause ! Cela faisait plusieurs années qu'il se livrait surement et inlassablement à ses vols, sans que personne ne le remarque. Jamais on ne l'avait appréhendé, jamais il n'avait mis les pieds à la prison de Kingston, jamais il n'avait reçu la moindre bastonnade d'un petit bourgeois mécontent. Jamais. Maël était bel et bien le voleur le plus talentueux et discret de la ville. Du moins était-ce qu'il pensait... De toute évidence, il avait déjà oublié cette fameuse nuit où on l'avait pris la main dans le sac. La nuit où le jeune voleur avait bien failli finir à la flotte ; ou pire : égorgé de la plus simple des manières sur le pont d'un navire. Cette nuit-là, seule la chance lui avait permis de s'en tirer à bon compte. La chance qui était, il devait bien se l'avouer malgré sa fierté, sa plus grande alliée. Elle lui offrait les plus belles opportunités de s'enrichir et l'aidait à se sortir des mauvais pas. En revanche, nous nous accorderons tous pour affirmer que la chance est une amie des plus précaires et incertaines, car celle-ci peut tourner à tout moment.

C'est l'air de rien donc, qu'Ismaël bouscula une jeune femme à la longue chevelure blonde. Au passage, sa main pénétra adroitement dans la doublure de la veste de celle-ci pour y dénicher une seule et unique pièce d'or. Toeless ne prit même pas le temps de dévisager sa victime. C'était inutile. Il délestait des dizaines de personnes par jour de leurs économies et ne perdait jamais son temps à imprimer leur visage. Après tout, un poissonnier ne passe pas son temps à dévisager sa marchandise... Sans le savoir, Maël commettait pourtant là une très grave erreur. S'il avait pris ne serait-ce qu'une demi-seconde pour regarder la jeune femme, sans doute aurait-il vite compris qu'il ne devait plus s'attarder et quitter cet endroit de plus rapidement possible. Sans doute aurait-il remarquer que sa dernière victime voulait sa peau depuis le jour où il s'était glissé à bord de son navire afin d'y voler tout un héritage. Mais non... le jeune homme resta planté là, à quelques centimètres de la jeune femme, observant la pièce qu'il venait de dérober d'un air déçu. Une fois de plus, l'or accaparait son attention et mettait sa vie en danger. Alors ? A qui la faute en réalité ? La coupable était-elle sa cupidité, qui l'empêchait de voir le danger se trouvant juste sous son nez ? Ou était-ce la chance, qui l'avait oublié dès lors qu'il avait bousculé le dit danger ? La seconde, assurément. Car si la chance était restée fidèlement à son poste, nous n'aurions même pas eu à nous poser cette question. Vous me suivez ?

Ismaël ne pouvait expliquer l'intérêt qu'il portait à l'or et à tout ce qui pouvait avoir une quelconque valeur. Toute son enfance, il la vécu dans la pauvreté. Cependant, il ne cessait de nier que la raison de sa curiosité se trouvait dans le manque qui rythma sa jeunesse. Et pourtant, l'explication se trouvait bel et bien là. Il était de ces garçons pauvres, sans le sous qui arpentaient les rues à la recherche de la moindre richesse. Dès lors qu'il comprit la valeur de l'argent, il n'eut de cesse d'essayer de s'en procurer. Il y a des années de cela, il se promis une chose : de ne jamais plus vivre dans la pauvreté. Il ne serait pas comme sa mère et ne s'abîmerait pas au travail. Il ne serait pas comme la majorité des orphelins et n'essaierait pas de retrouver son père. Non, il serait riche et il n'aurait même pas besoin de se tuer à la tâche pour ça. S'était facile : Dieu l'avait doué d'un véritable talent. Des mains parfaites qui lui permettaient en plus d'assouvir une vengeance personnelle. C'était ses représailles envers la bourgeoisie et l'aristocratie. Tous ces riches qui l'avaient traîné dans la boue pendant son enfance, qui l'avaient regardé de haut ou même pire, ne lui avaient accordé aucun regard alors qu'il tendait une main suppliante dans leur direction. Ah, ils lui avaient refusé la moindre petite pièce ! Et bien à présent, il se servait lui-même dans leurs poches. Voilà pourquoi le jeune Maël savourait chaque vol et chaque chapardage. Cela lui permettait d'assouvir sa soif de revanche et de soigner son orgueil blessé.

L'esprit accaparé par la pièce qu'il venait de dérober, Ismaël ne voyait pas le danger qui se rapprochait de seconde en seconde. Il se contentait d'observer passionnément son nouvel acquit, le manipulant minutieusement de ses mains expertes, ignorant que celle qu'il avait offensé venait de poser les yeux sur lui. Pourquoi se serait-il inquiété alors que son orgueil lui refusait le moindre doute ? Il était trop doué pour se faire prendre ; personne ne pouvait sentir ses doigts qui exploraient poches et doublures de vestes. Alors pourquoi diable se soucierait-il de vérifier qu'on ne l'avait pas vu ? Ô douce fierté qui aveuglait si délicatement notre jeune voleur, le berçant paisiblement dans une tranquille pluie d'illusions. Tout à coup, la pièce de monnaie disparue des mains d'Ismaël et celui-ci se sentit brusquement agrippé par le poignet. Sous la surprise, le rythme cardiaque de ce dernier s'emballa tandis qu'il réprimait un hoquet de surprise. La perplexité envahie le regard de Toeless alors qu'il posait les yeux sur son agresseuse. Qui était-elle ? Que lui voulait-elle ? Pourquoi s'en prenait-elle à lui de la plus violent des façons ? Il ne fallu pas plus d'une demi-seconde à Maël pour comprendre. Il posa instantanément les yeux sur l'homme qui se tenait à côté de la jeune femme et le reconnu. Lui ! Celui qui l'avait menacé d'un couteau sous la gorge alors qu'il essayait de voler l'héritage de Celeste Black. Les yeux du jeune homme retournèrent sur son agresseuse et son sang ne fit qu'un tour. C'était elle. Celeste Black lui tenait fermement le poignet, le regard brûlant de haine et de rage. C'était bel et bien elle. Et elle voulait le tuer. Le visage d'Ismaël pâlit alors qu'il lisait toute la colère du monde dans les yeux de la demoiselle. Celle-ci ne tarda plus à l'insulter dans une langue qu'il connaissait, lui apprenant le châtiment qu'elle lui réservait...

Ismaël n'en menait pas large. Il pouvait sentir son sang couler dans ses veines sous la menace. Il savait que sa vie ne tenait plus qu'à un fil et que Celeste était le couteau qui allait le couper. Et pourtant, pourtant... Il restait là, impassible, accompagné de son sang-froid à toute épreuve. Ce calme qui lui avait plus d'une fois sauvé la vie. Il ne donnerait pas à Black la satisfaction de le voir inquiété et terrifié. Il avait peur, oui. Mais jamais il ne le lui montrerait. Le voleur défia sa rivale d'un regard emprunt de malice et de fierté. La raison voulait qu'il se taise et reste muet devant les insultes de la jeune Black... Mais qu'est la raison face à la fierté et l'impertinence ? Pas grand chose. Ismaël faisait parti de ceux qui jamais ne sombrent dans le mutisme et qui, quoiqu'il arrive, défende leur orgueil à tout prix. Y compris au prix de la vie ? Peut-être pas en ce qui concernait Toeless, mais il ne s'avouerait pas vaincu sans se battre. Contre toute attente, le garçon afficha son habituel sourire amusé et lança, non sans une certaine insolence.

- On t'as jamais dit que ces mots étaient très vilains dans la bouche d'une femme ?

Grand sourire.
A présent, il s'agissait de se dégager de cette étreinte qui le retenait prisonnier et l'empêchait de fuir. Que faire ? Tirer et espérer que Celeste lâche prise ? Sûrement pas. Le jeune voleur savait pas expérience que dans ce cas précis, essayer de se soustraire de la poigne de Black en tirant aurait l'effet inverse de celui escompter. Une fois encore, contre toute logique, Ismaël se jeta brutalement contre son agresseuse et arracha son poing prisonnier en le lançant en direction de Celeste et non pas en le ramenant vers lui. Habilement, Maël venait de se libérer. Dans un geste théâtrale, profitant du déséquilibre qu'il venait d'offrir à sa rivale, il fit une légère courbette et lança sur le même ton.

- Au plaisir, madââme !

Sans attendre son reste, Ismaël prit ses jambes à son cou. Conscient que Celeste n'en resterait pas là et que cette dernière n'était pas seule, il zigzagua agilement entre la foule et se dirigea vers les ruelles qu'ils connaissaient le mieux dans l'espoir de perdre ses poursuivants. Sa vie dépendait à présent de la vivacité avec laquelle il réussirait à réfléchir et de la rapidité de ses jambes. Il savait que si par malheur un duel s'engageait entre Celeste et lui, il n'aurait que très peu de chance de l'emporter. Encore que... Un autre de ses dons pouvait encore bien jouer en sa faveur. Peu importait... Pour le moment, le plus important était d'égarer ses agresseurs.

Toeless courrait déjà depuis quelques minutes quand il se faufila dans une ruelle qu'il ne connaissait pas aussi bien que les précédentes. Bientôt, son coeur lui fit l'effet d'une pierre tombant au creux de sa poitrine. Une impasse. Un immense mur de pierre se dressait devant lui, fier et goguenard. Ismaël s'arrêta net, le souffle court, n'arrivant pas à croire que la chance l'avait abandonné à ce point. Pendant une seconde il pensa à faire demi-tour et essayer une autre ruelle, mais déjà il entendait des bruits de pas dans son dos...

Ismaël n'eut même pas besoin de se retourner pour savoir à qui appartenait la main qui venait tout juste de lui tapoter l'épaule. Pendant une courte seconde, il hésita. Celeste allait-elle le transpercer d'une lame à l'instant même où il lui ferait face ? Lui laisserait-elle une chance de se défendre ? Pourquoi le ferait-elle ? Il n'avait pas hésité une seule seconde à monter à bord de son bâtiment pour la dépouiller ; elle n'avait donc aucune raison de lui accorder le moindre répis. Pourtant, Maël ne pouvait s'empêcher d'espérer. Il n'avait jamais imaginé sa mort de la sorte : seul, au bout d'une ruelle, égorgé par une pirate sanguinaire et sans coeur. Non vraiment cette image lui déplaisait ! La mort allait-elle vraiment avoir enfin raison de lui ? A force de la provoquer, l'avait-il poussé à bout ? Le jeune voleur ne pouvait s'en convaincre. Finalement, Ismaël se retourna pour faire face à son destin. Un destin magnifique à vrai dire. De longs cheveux blonds, un grand regard profond et une frimousse à faire battre des coeurs. Hélas, ce visage s'étirait en un long sourire carnassier qui transformait l'ange en démon. Ce sourire ne pouvait tromper personne, pas même un aveugle. C'était le genre de sourire capable de transformer un visage. Le genre de sourire que Toeless connaissait bien pour en faire avoir fait usage à mainte reprises.

Bientôt, Ismaël se retrouva plaquer contre le mur de pierre, une dague sous la gorge, une véritable furie face à lui. C'était la seconde fois qu'il se retrouvait menacer de la sorte en une semaine ; une habitude dont il se serait bien passée. A ce rythme là, il donnait de moins en moins chère de sa vie. Lorsque le poignard lui entailla légèrement la chair, Toeless sentit son palpitant s'emballer. Oui, il avait peur. Celeste incarnait à cet instant ce qu'il redoutait le plus au monde. Elle était la Mort et elle tenait sa vie au bout de sa lame. A ce moment précis, son existence dépendait uniquement de la façon dont la jeune Black allait aborder les choses. Maël savait que si elle laissait ses émotions guider ses gestes, alors il était mort. Pourtant, il garda toute sa contenance. D'un côté, son orgueil lui interdisait de perdre la face ; il ne la supplierait pas, il ne lui demanderait pas de l'épargner. Jamais. Et d'un autre côté, il ne pouvait s'empêcher de penser que son sort reposait aussi sur sa capacité à conserver son calme. Sa manière à lui de se convaincre qu'il gardait un certain contrôle sur les événements, probablement. Ô arrogance.

Finalement, Celeste repris la parole, lui balançant quelques insultes au passage histoire de faire bonne figure. Ismaël ne souriait plus et afficha un air fatigué. Toujours la même rengaine. D'une certaine façon, la situation lui paraissait grotesque. Qui était Celeste Black ? Une pirate. Or que fond les pirates ? Ils passent leur temps à piller. Maël n'était pas très différent des pirates en réalité. La seule différence était qu'il sévissait sur terre et non pas sur mer. Et.... Qu'il ne tuait pas. Cette agression était donc une pure hypocrisie. Il comprenait peu à peu que la jeune femme ne lui en voulait pas d'avoir essayé de s'approprier ses biens. Enfin si... Mais non. En tous les cas, s'était plus l'offense qu'il lui avait infligé que le vol en lui-même qui la mettait dans cet état. Bientôt, Celeste s'écarta du jeune homme, puis se jeta une seconde fois sur lui, la colère dans la voix. Ismaël poussa un long soupir et afficha un rictus ennuyé. Un sourire qui devait sembler particulièrement frustrant pour une personne comme Celeste qui ne semblait rêver que d'une chose : lui faire peur. Ou au moins, lire la détresse dans son regard. Un regard qui pétilla aux paroles de la jeune pirate. Ainsi donc elle lui laissait le choix. Un choix restreint et peu appétissant, certes. Mais Maël savait qu'il pourrait tirer avantage du répit qu'elle lui accordait.

Toeless devait bien l'avouer, cette Celeste ne manquait pas d'aplomb ! Quoiqu'elle se laisse un peu trop guider par ses pulsions. Enfin, elle avait assez de sang-froid pour ne pas l'avoir encore réduit en bouilli, c'était l'essentiel. Ismaël avait retrouvé son sourire narquois et ses paroles insolentes.

- Qui je suis ? Je pensais que tu le savais.... Je suis celui qui va te débarasser de ton héritage.

Oui. Ismaël était loin, très loin d'avoir oublié le trésor qui l'attendait sur le navire de la jeune femme. L'héritage occupait son esprit et peuplait ses rêves. C'était de l'argent facile et le magot l'attendait là, à moins d'un kilomètre, à bord d'un magnifique vaisseau. Toeless ne laisserait pas passer cette chance, même si Celeste voulait sa peau. Ce trésor lui appartiendrait, il se vouait corps et âme à cette tâche. Sans compter que la colère de la jeune Black attisait un peu plus sa tentation et sa convoitise. Tout à coup, le sourire amusé du garçon disparu, laissant place à un visage de fer ; toujours calme cependant. Puis, avec la même impertinence, il montra à Celeste quel était son pire défaut : sa langue un peu trop bien pendue.

- Ouais... C'est ça le problème, tu n'as aucune idée de mon identité. Mais je peux t'assurer une chose. Lève ne serait-ce qu'un doigt sur moi et tu iras te balancer au bout d'une corde. Tu n'as aucune idée de qui je suis et de ce dont je suis capable. Alors vas-y, frappe moi, transperce-moi, mais ne t'attends pas à ce que je me mette à genou devant une gueuse dans ton genre.

La personne capable de faire taire ce garçon n'était pas encore née.

Ismaël savoura pleinement l'effet de ses quelques paroles sur la jeune femme. L'étonnement qu'il lu dans son regard était purement délectable. Même la pression de la lame qui se fit plus forte contre sa gorge ne réussi à effacer le sentiment de délice qui l'envahi. Il était évident que son sang-froid à toute épreuve n'avait pas fini de surprendre. En un sens, cela le rendait invincible. Même s'il mourrait aujourd'hui, on se souviendrait de lui pour sa sérénité. Une bien maigre consolation face à la mort, mais une consolation tout de même. Pourtant, la surprise disparue bien vite du visage de la demoiselle pour laisser place au mépris et au malice. Celeste afficha un sourire moqueur tandis que des sueurs glaciales dégoulinaient lentement dans le dos du jeune voleur. La précarité de la situation ne lui plaisait pas. Bientôt, le poing de la jeune Black alla s'écraser contre le visage de Toeless. Celui-ci pinça les lèvres afin de se pousser au calme, alors que la douleur envahissait son arcade droite.

- Epargne-donc mon visage, il m'est utile pour mes affaires...

Mais déjà la jeune femme le rouait à nouveau de coups, son genou s'enfonçant dans toutes les parties du corps qu'il pouvait atteindre. Ismaël sentit son souffle se couper alors la douleur pénétrait son bas-ventre. Si la torture mentale n'avait aucun effet sur le garçon, la souffrance physique altérait son jugement et sa capacité à garder son sang-froid. Pendant une fraction de seconde qui lui paru une éternité, Maël sentit la colère l'envahir tout entier alors que la haine emplissait son regard. Momentanément, il désira tuer Celeste, l'écorcher vive, lui faire bouffer sa propre lame, la défigurer et la laisser agoniser longuement dans l'obscurité de cette impasse. Pendant un court instant, Maël se laissa submerger par la folie. Des années de rancoeur et de rage pendant lesquelles il avait prôner impassibilité et impertinence orale se déversaient en lui tel une vague de violence et de désir de revanche. Oui, il voulait faire souffrir cette femme qui avait osé porter la main sur lui. Il la dépouillerait, la torturerait patiemment, puis l'enverrait impitoyablement à la potence. Pourtant, le sourire narquois de Black ainsi que les mots qu'elle prononça écartèrent la colère du jeune homme et l'aidèrent à retrouver instantanément son calme. Il s'en voulait de s'être laissé aller de la sorte. C'était exactement ce qu'elle recherchait : le voir perdre sa sérénité. Il ne devait en aucun cas lui donner satisfaction et lui offrir sa colère sur un plateau. Alors qu'il s'auto-injuriait pour son comportement, sa pondération fut une nouvelle fois mise à rude épreuve alors qu'elle lui entaillait la joue. Cette fois pourtant, il serra les dents et lui présenta un sourire hypocrite et se contenta d'écouter sa rivale dans un silence de mort.

Ainsi donc elle ne le croyait pas. Ce qui, il fallait bien l'avouer, n'était guère surprenant. Comment un vagabond, un petit chapardeur de la trempe de Maël pouvait bien avoir un quelconque lien avec l'autorité ou l'aristocratie de la ville ? Une telle idée était tout à fait impensable, grotesque et pouvait en effet n'être que l'objet d'un fantasme personnel. Toeless s'amusa de voir Celeste détruire ce qu'elle pensait n'être qu'un délire. Elle lui donnait l'impression d'essayer de se convaincre elle-même qu'elle ne courrait aucun danger à s'en prendre à un individu tel qu'Ismaël. Qu'à cela ne tienne, le jeune homme la laisserait à ses certitudes. Pour sa part, il savait que Griffith remuerait ciel et terre pour le retrouver s'il venait à disparaître. Maël savait qu'il n'était pas indispensable, mais il se savait très utile à la mission de son maître. Ce dernier lui avait sauvé la vie et ne laisserait pas l'assassin de son protégé impuni. Surtout si le dit assassin se voyait coupable de piraterie.

Bientôt, Celeste s'écarta de Toeless ; celui-ci se sentit renaître. Enfin il pouvait bouger. La jeune Black venait sans doute de faire là une terrible erreur. A nouveau, elle prit la parole. Et là, ce fut au tour d'Ismaël d'être surpris. Cependant, il ne laissa pas l'étonnement lui paralyser les tripes et éclata de rire. Amusé, il fit un pas en direction de sa rivale, réduisant la distance qui le séparait du poignard. Le silence s'était abattu entre les deux protagonistes et Maël se montra peu inquiet de le briser. Avec une patience digne de celui qu'il était, il dévisagea la jeune femme, lui offrit un sourire emprunt de perversité avant de parler à son tour.

- Comme je l'ai dit, tu ne sais absolument rien de moi. Mais tu n'as aucune idée de ce dont le misérable ver de terre que je suis est capable. Vas-y, continues donc à tirer tes conclusions, j'aime te voir te méprendre sur ma situation. Ismaël avança encore d'un pas avant de poursuivre d'une voix méprisante. Quant à ton marché... Quoi ? Tu as peur ? Tu préfères laisser tes amis faire le sale boulot à ta place ? Que de la gueule c'est ça ? Ca parle, ça parle, mais quand le moment est venu de passer à l'acte, y'a plus personne. Les lèvres de Maël s'étirèrent en un rictus provocateur. Ah ! Tu es pitoyable ! Tu n'es qu'une misérable chienne, fille de catin. Une bâtarde de la pire espèce... Mais allé, vas-y, frappe-moi ! A ton tour de choisir. Soit tu me laisses m'en aller et peut-être que tu vivras. Pauvre, certes, mais tu vivras. Soit tu me tues. Et là tu mourras, c'est une promesse. Tu vivras les pires souffrances, puis ta pitoyable personne ira gigoter au bout d'une corde. Et tu ne sais pas le pire... Tu mourras pauvre. Car, je ne suis pas le seul à connaître ton héritage.

C'était sans doute la première fois qu'Ismaël allait si loin dans ses provocations et qu'il défiait la mort avec une telle acrimonie. Quiconque l'aurait entendu à cet instant penserait qu'il souhaitait mourir, qu'il en avait assez de vivre et qu'il accueillait la mort à bras ouverts. Ne jamais se fier aux apparences pourtant. Maël possédait plus d'un tour dans son sac.