China mask at a crossroad*

Silencieux, méticuleux, aussi délicat qu'un harpiste de Vienne mais plus implacable qu'un général d'armées, du bout des doigts Willy indiquait à ses animaux les tours à représenter, et ce simple entraînement lui attirait l'intérêt admiratif des enfants désoeuvrés qui se rassemblaient déjà comme un essaim de mouches autour de lui. Il n'était pourtant pas content du résultat ; les singes qui avaient fait le long trajet depuis l'Indonésie commençaient à traîner la patte, et ceux acquis sur les côtes du Brésil étaient encore terriblement indisciplinés. Pour se donner du courage, il se faisait une joie de penser aux spécimens qu'il pourrait acquérir ici, dès qu'il aurait réuni les fonds nécessaires à l'expédition. Et à ce propos, son spectacle pouvait commencer... Il se leva, impassible, tandis que les gamins poussaient des cris, devinant intuitivement que les choses sérieuses allaient commencer. Le saltimbanque se retira derrière le mince rideau qui lui servait de coulisses, et ses singes le suivirent, à la queue leu leu, en échangeant des propos indistincts. De la politique, probablement. Willy ne s'en mêlait jamais.

Au bout d'une minute, il réapparut, masqué, costumé, et beaucoup plus impressionnant. Un enfant demanda à son voisin si c'était ça, un gitan, mais dans une langue locale à laquelle Willy ne put donc pas répondre. Peu lui importait. L'intérêt de son public à ses yeux se limitait à la recette qu'il en obtiendrait au moment de la quête. Le reste du temps, il ne faisait que se divertir lui-même et récolter le plaisir abstrait mais grisant du travail bien fait. Il commença par un petit jeu d'ombres classiques, mais les subtilités du théâtre balinais semblaient apparaître à ces rustres comme une forme bâtarde de comique, et il se lassa bientôt de leurs rires inélégants. Il enchaîna donc avec quelques tours réalisés par les singes. Ceux-ci se livraient à des acrobaties auxquelles Willy aurait répugné au nom de sa propre dignité, sans parler de sa santé physique ; mais ils en semblaient ravis. Ils cherchaient à charmer leur public en découvrant largement leurs petites canines aiguisées en un sourire communicatif.

Tout se passait bien, jusqu'à ce qu'un pickpocket malhabile se fasse prendre au milieu du petit attroupement qui s'était formé. Une bagarre se déclencha alors que quelques gros-bras présents, qui s'étaient improvisés milice officielle de ce carré de pavés déchaussés, se mirent en tête d'arraisonner le misérable et de lui faire rendre l'objet de ses larcins. Il sortit un couteau et siffla ses complices postés en embuscade au coin de la rue. Alors que le chaos s'amplifiait, Willy jugea plus prudent d'interrompre sa performance et de se retrancher à l'écart avec ses petits protégés à fourrure, en attendant que l'orage passe. Un soupir de désolation résignée passa ses lèvres : pas de quête pour cette fois. On ne fait pas payer pour un spectacle où le spectateur court le risque de se faire détrousser ou rosser. Ce serait un manquement criant au code universel des bonnes manières entre inconnus.

(Hrp : Voila je me tape l'incruste, ça te dérange pas j'espère xD)

Le capitaine se promenait tranquillement dans le centre de la ville. Ca lui arrivait de s’éloigner du port parfois. Son regard fut attiré par un spectacle de singe. Il s’arrêta et se retrouva au milieu d’une foule d’enfant à regarder les tours que leur maitre, ou maitresse d’ailleurs, leur faisait faire avec un sourire amusé sur les lèvres. Les singes souriaient aussi et cela amusait beaucoup le pirate. Ce n’était pas les premiers singes qu’ils voyaient pour autant mais c’était le premier spectacle dont il avait le plaisir d’assister. Leurs cabrioles le faisaient rire doucement. S’il était capable de pareilles acrobaties, ses combats à l’épée ne serait plus les même ! Ca c’était sur ! Bien qu’ils soient déjà très divertissants à leur façon.

La petite sérénité de cette animation de rue fut brusquement stoppée net par un pickpocket, et un mauvais vu qu’il s’était fait prendre alors que Matt avait piqué une bourse dans la foule qui regardait sans se faire attraper. En réalité, il avait essayé de voler cette bourse à Matthew... Grave erreur. Il aurait du se douter qu’au tricorne qu’il portait sur la tête, c’était un pirate, qui plus est un Capitaine et qu’on ne voulait pas un capitaine si facilement. Le pirate n’eut quasiment rien à faire que déjà d’autres personnes s’empressées de lui faire lâcher le petit sac remplit de pièce d’or. Kian eut juste à arriver, lui attraper le poignet et avec un petit mouvement sec, rendre sa liberté à sa bourse volée. Il fit un signe de remerciement aux hommes qui s’étaient attaqués au voleur, mais il ne leur donna rien.

Toujours tranquillement, le court événement ne l’avait pas affecté ni même amusé d’ailleurs car il n’avait pas eu à sortir son épée. Il retourna vers le dresseur de singe, ou la dresseuse il ne savait pas et voyant qu’il, elle ?, rangeait tout, il s’avança vers …le personne.

« Bonjour, votre spectacle était bien divertissant dommage que vous ne puissiez le finir à cause d’une fausse crapule. »

Son sourire était toujours affiché sur ses lèvres et il sortit une pièce de sa bourse pour la lui donner mais, hésita et finalement ne la garda dans sa main.

« Je préférais la pièce ou aller boire un verre que je vous offre ? »

D’humeur sociale le Matt aujourd’hui mais c’était surtout que ça l’intéressait de parler avec une personne quand celle-ci, chose qu’il n’avait jamais faite avant et éternel amoureux de la nouveauté, il ne voulait pas rater cette occasion… en or, comme la pièce. Il avait vraiment volé une riche personne visiblement. Surtout que la bourse ne pesait pas léger dans sa main.

Il tendit la main vers une des bestioles pour lui caresser le dessus du crâne. Les animaux ne le détestaient pas trop en général… Espérons qu’il ne se fera pas mordre, bien que ça ne ferait que l’amuser encore plus, à part s’il pouvait se faire transmettre une éventuelle maladie du coup …

Des pieds à la tête et retour, campé comme un mousquetaire offensé, tête nue mais néanmoins digne, Willy dévisagea son interlocuteur en hésitant entre plusieurs réactions. Naturellement, son réflexe était de saluer comme un saltimbanque qu'il était, de reculer vers l'abri de son rideau, et de disparaître, telle une marionnette dans sa boîte, pour se consacrer à d'autres activités. Sans un mot, ce qui lui éviterait d'exhiber son accent des plus douteux. D'un autre côté, l'autorité manifeste que l'inconnu exerçait sur la foule l'intriguait. Ces spectateurs en guenilles formaient pourtant une meute bien chaotique d'ordinaire... Willy songea que ce devait être un bandit en vue, un éminent coupe-jarret local, donc une variété de prince ; et un demi-tour du monde lui avait appris qu'il faut toujours se faire bien voir des princes.

''Je me nomme Willy Song, à votre service, monsieur. Je serai honoré de boire un verre avec votre respectable personne,'' répliqua-t-il d'une voix douce en inclinant la tête. ''Et Ismaël sera honoré lui aussi de nous accompagner.'' Le singe portait le nom d'un harponneur croisé au cours de ses derniers périples, un sale menteur qui inventait à qui voulait l'entendre des histoires de baleines psychopathes et de capitaines maudits. On ne l'avait pas revu depuis quelques temps. Peut-être l'un de ses monstres des profondeurs était-il enfin venu l'engloutir.

Le singe appréciait l'intérêt que lui portait le brigand, mais cette appréciation prit une forme inattendue : l'animal alla chercher un petit sabre de bois qu'il utilisait pour les spectacles, sauta sur l'épaule de l'inconnu et en donna un petit coup sur son tricorne. Willy fronça les sourcils et s'approcha vivement pour s'emparer du coupable avant que cela ne dégénère. Il savait à quel point les coureurs des mers et des bois peuvent être violents lorsqu'on les provoque inconsidérément. Le rire était souvent un remède tout aussi immédiat. ''Ismaël a toujours rêvé de partir à l'aventure'', se hâta-t-il de plaisanter afin de minimiser l'événement. ''Il voit que vous êtes un grand aventurier. Un adversaire à sa hauteur.''

Tout en manifestant le plus grand respect quant à son interlocuteur, il se dépêchait de ranger ses affaires, qui toutes se replièrent adroitement et disparurent finalement dans un coffre à roulette, sur lequel les singes vinrent se poster. Willy ramassa la poignée du coffre, se redressa et attendit qu'on lui indique le chemin, le visage indéchiffrable, l'allure disciplinée. Jouer les chiens de traîneaux ne lui faisait pas peur, et de toute façon, il n'avait pas d'autre moyen de locomotion. Quant à sa tenue, autant garder celle du spectacle ; les gens du coin ne feraient pas la différence entre cet attirail et ses véritables vêtements.

Attaquer par le petit singe qu’il caressait plus tôt, la réaction de Matt fut de …rire. IL trouvait cela amusant en effet et ne craignait rien d’une petite bête à poil. Ce n’était pas ça qu’il l’effrayait en tout cas. D’ailleurs ce qui l’effrayait serait quelque chose de sympa à trouver vu qu’il semblait n’avoir peur de rien. Mais entre l’apparence et les vrais sentiments… il pouvait s’en passer des choses.

« Et bien, audacieux comme ça, le petit Ismaël pourrait être un vrai pirate ! »

Il s’adressa ensuite au singe lui-même.

« Je suis flatté que tu me considères à ta hauteur, on pourra faire un petit combat si tu veux, mais d’abord … »

Il avait parlé sur le ton de la confidence mais de façon à ce que le maitre puisse entendre. Il ne voulait pas gâcher un si bel entrainement. Il reprit plus fort pour finir sa phrase :

« Allons boire un verre ! »

Ceci dit, il vit la manière dont l’artiste aux singes rangea toutes ses affaires et trouva cela fort pratique, pour un artiste ambulant, bien que, pour une fois, il ne commente rien. Il l’emmena dans une taverne qu’il savait sympa et dont la clientèle n’était pas trop désagréable avec les étrangers. Il n’existait pas d’endroit qui ne le soit pas du tout. Il y aurait toujours quelques « comiques » mais les pirates n’étaient pas vraiment racistes et s’il était avec Matt, ça irait de toute façon. Non pas que personne n’oserait rien dire mais surtout qu’il était tellement décalé comme pirate qu’on ne s’occupait même plus de ses fréquentations. Ca serait une grande première cependant ! Il n’avait jamais parlé avec quelqu’un avec des yeux de cette forme et un visage si androgyne. Il se demandait toujours si c’était un homme ou une femme mais se dit qu’il refuserait surement de venir boire avec lui s’il lui posait cette question. Il mit la bride à sa curiosité et alla s’installer à une table où son nouvel ami, ou en tout cas compagnon, pourrait poser sa grosse valise sans gêner le passage. Ceci fait, il le (la ?) regarda en souriant :

« Une envie particulière pour ta boisson ? »

Il préférait lui laisser le choix avant d’interpellait le serveur.

« Sinon, tu viens d’où en fait, Willy ? Je ne t’ai jamais croisé ici et je ne pense pas que tu sois d’ici. »

Préjugé… Peut-être mais il n’en avait pas honte. Il avait tout à fait une tête de gars du coin, pourtant il ne l’était pas vraiment mais vu le temps qu’il avait vécu ici on pouvait considérer qu’il l’était. Il était un pirate, il pouvait remarquer qui était de Kingston et qui était d’ailleurs. Il avait voyager sur des navires aussi et en fait, ce n’était pas la première fois qu’il voyait quelqu’un avec des yeux de cette forme maintenant qu’il y réfléchissait… Ou du moins, ça lui semblait plus ou moins similaire. Ses souvenirs étaient quelques peu douteux, vu le temps qu’il s’était écoulé depuis qu’il était allé dans un tel pays et depuis qu’il avait dirigé un navire aussi… Il fallait vraiment qu’il en trouve mais ces temps-ci, les gens venaient avec des navires pas du tout à son goût. Il faudrait peut-être qu’il en vole un, une bonne fois pour toute et qu’il essaye de le garder en un morceau…

Les regards en coin ne gênaient pas Willy, qui s'y était peu à peu habitué au cours de ses errances. Il avait d'ailleurs appris à discerner le seuil exact au-delà duquel la curiosité devenait une menace ; jusqu'à cette limite, il préférait faire comme s'il ne se rendait compte de rien, et se laisser examiner paisiblement, ce qui était encore le meilleur moyen de ne pas avoir trop d'ennuis. Cet homme n'était pas disposé à le mettre à la torture pour connaître tous ses secrets, du moins pour l'instant, il le sentait. Autant se plier à son petit jeu de questions et de réponses, ce serait l'occasion de servir les intérêts de Willy également : de le renseigner sur la manière de penser et de se conduire des hommes d'ici, de mieux se fondre dans la masse par la suite, et peut-être même de trouver un guide acceptant de le mener aux recoins perdus de l'île...

En entrant dans la salle, il observa d'un rapide regard alentour quelle était l'ambiance locale, même si, en entrant avec un habitué, il ne craignait pas grand-chose. C'était un réflexe machinal chez lui. Repérer les fenêtres, les portes de secours, les recoins derrière lesquels se réfugier si une bagarre éclatait, les personnages déjà éméchés et qui présenteraient éventuellement un comportement violent. Non pas que Willy soit particulièrement sujet à la frousse ; mais il était objectif, et la bagarre n'était pas son terrain de prédilection. Instinctivement, il se plaça dans l'ombre de Matthew, qui d'ailleurs était plus grand et lui permettait donc de passer partiellement inaperçu. Il entendit plusieurs personnes réclamer : ''du rhum !'' en frappant du poing sur la table, et en prit bonne note. Lorsque ce fut à lui de donner son opinion, il prit son courage à deux mains, et martela la table à son tour en déclarant :

''Du rhum.''

Son accent pour une fois ne péchait pas trop, il faut dire que cette formule était peut-être celle qu'il avait le plus entendue depuis qu'il voyageait dans cette partie du monde. Au bout d'un moment, les bonnes habitudes s'installent. Il reprit ensuite sa contenance habituelle, entre politesse et sournoiserie, et ajouta en baissant les yeux : ''S'il vous plaît.''

Après tout, il ne connaissait pas davantage le prix de cette boisson que sa saveur ; peut-être venait-il de réclamer quelque chose de particulièrement coûteux. Bah, son convive lui avait laissé le choix, tant pis pour lui ! Il s'efforça ensuite de former une phrase entière, considérant la première question qui venait de lui être posée. Après un petit moment de réflexion, Willy se lança :

''Je viens de Chine. J'étudie les anciennes populations et dans ce but je fais le tour du monde. S'il existe par ici des tribus reculées, préservées hors du contact de la civilisation, je serais prêt à payer un bon prix pour leur rendre visite.'' Ce couplet appris par coeur était parfaitement maîtrisé en espagnol, en revanche en anglais il n'était pas très sûr de lui. ''Et vous... messire ? Quelles sont vos activités ?''

Cependant, une bouteille passait de mains en mains à la tablée voisine ; et à voir l'effet que semblait faire le breuvage sur les marins concernés, leurs yeux brillants, leurs rires abrutis et leurs gestes ralentis, alors qu'ils étaient visiblement de robustes personnages, Willy pria pour qu'il ne s'agisse pas de rhum.

Un grand sourire éclairait le visage de Matt. Ce n’était pas tous les jours qu’il voyait un étranger demander du rhum comme les alcolos du coin. Il fit signe d’en mettre deux au serveur avec sa main, sans un bruit. Le « s’il vous plait » ajouté, rendait le tout encore plus comique. Il fallait choisir ! Soit totalement dévergondé et crier en tapant sur la table « Du rhuuum ! », soit plus poli « du rhum s’il vous plait » sans taper sur la table comme un sauvage, mais venant de ce garçon, fille ?, c’était amusant, pour Matt en tout cas. Le serveur s’en contrefichait comme de l’an 1000, tant qu’il avait une commande et qu’il gagnait de l’argent ; il était content.

Etape suivante : explication de qui il était. Il récita son petit texte appris par cœur, ou qui avait l’air d’être appris par cœur en tout cas au pirate qui l’écoutait tranquillement. En même temps qu’il écoutait la courte tirade, il observait ce qu’il se passait dans le bar. Une bouteille faisait le tour d’une table, passant de main en main et de bouche en bouche. Un nid à microbes ? Surement mais ce lieu était surement déjà un nid à microbe en lui-même et lorsque l’on est un pirate on ne pense pas à ce genre de chose. Ce sont plus les nobles qui ont des problèmes avec ses lieux bien qu’on ne puisse nier que l’ambiance y était incomparable. Pour avoir assisté à des fêtes mondaines, Matt pouvait affirmer avec certitude : le peuple avait le sens de la fête.

C’était à son tour de répondre à la question. Il n’était pas étonné. Une discussion avec un inconnu se faisait toujours comme cela, question après question pour en savoir plus sur l’autre jusqu’à trouver un sujet de conversation qui intéressait les deux parties.

« Tu peux m’appeler Matt et me tutoyer, tu sais. »

Il fallait avouer que le vouvoiement ne le dérangeait pas trop mais le « Messire » le faisait bien rire. Ca faisait longtemps qu’on ne l’avait pas appelé comme cela. « Messire Stevenson », il avait toujours plus associé cela à son père adoptif qu’à lui-même. Enfin, c’était une époque révolue depuis belle lurette, il était Matthew Kian maintenant, Capitaine Matthew Kian même ! Il préférait largement ce nom à l’autre, trop formel à son gout. Bref, il était peut-être temps qu’il réponde non ?

« Tu l’aurais deviné non ? Je suis un pirate, capitaine même ! Enfin, il me manque juste un bateau mais je suis en recherche, c’est pour ça que je suis au port. »

Le serveur apporta les deux verres de rhum et les posa devant les propriétaires du liquide à l’intérieur de ces verres, bien que techniquement ça soit Matt vu qu’il allait payer. Ce dernier attrapa son verre et le tendit vers Willy pour trinquer. Il n’était pas forcément un adepte du ‘trinquage’ violent où les verres menacent de se briser à part s’il s’était pour conclure un marché qui l’enchantait particulièrement.

« Santé ! »

Il tapa son verre dans celui de Willy pas trop fort et en but quelques gorgées. Pas cul-sec parce qu’il se disait que l’autre ne devait pas forcément connaitre et que s’il buvait cul-sec… ça serait pas très agréable pour lui. Il le reposa sur la table et reprit la parole tranquillement.

« Bon, tu veux aller dans l’ile ? Je te conseille de faire attention à qui tu prends comme guide. Il y a pas mal de personne malhonnête dans le coin. *Il eut un petit rire amusé étant donné qu’il était plutôt compris dans ses personnes* C’est une ville de pirate et l’argent ça attire. Si tu payes fort prix, ils vont penser que tu es riche et vont surement te mener dans une embuscade. C’est risqué. Enfin, ton voyage a l’air risqué à l’a base. L’intérieur de l’ile n’est pas très connu, les gens prefèrent rester en ville. »

Il finit enfin sa petite tirade, et finit son verre au passage aussi. Habitué à l’alcool, il ne sentait pas leur effet, il lui en faudrait au moins un deuxième pour commencer, mais vraiment commencer hein, à avoir la tête qui tournait un peu, sans pour autant devenir incontrôlable. Vous savez à combien de verres en était ceux qui hurlaient un peu dans la taverne ? Ce n’est certainement plus en verre que c’est compté…

Tutoyer un parfait inconnu ? Depuis qu'il maîtrisait les subtilités des langages locaux, Willy avait toujours profondément répugné à user de familiarité envers quelqu'un qui n'était pas encore à proprement parler un ami, et qui n'était pas non plus un inférieur. Les esclaves n'attiraient aucunement sa pitié, ni d'ailleurs son mépris, mais il les tutoyait sans complexes ; en revanche, les hommes d'une certaine dignité ( capitaine, c'était un rang élevé, non ? ) lui inspiraient beaucoup trop de respect hiérarchique pour qu'il se permette de suivre les instructions de ce Matt. Cela dit, maintenant qu'il avait un prénom à se mettre sous la dent, il en userait sans vergogne. Cet usage-là lui paraissait tout à fait acceptable.

''Santé,'' répéta-t-il avant de porter le verre à ses lèvres, louchant un peu pour le garder à l'oeil, comme si le breuvage risquait de l'attaquer. ''Euh... ça pique le nez.'' Il aurait aimé pouvoir faire un compliment sur cette boisson local, mais le fait était qu'elle lui semblait pour l'instant principalement agressive à son égard. Ses yeux se fermèrent alors qu'elle coulait dans sa gorge, en s'accrochant aux parois de ses mille petits ongles pour tenter d'éviter ce triste destin. En plus du reste, c'est que ça tenait chaud ! Il avait déjà remarqué cette tendance des habitants des tropiques à boire du thé brûlant ou, en l'occurrence, des alcools forts, et il n'y comprenait rien. Une légère quinte de toux plus loin, il reprenait la conversation comme si de rien n'était, en espérant garder les idées claires.

''Pirate. Vous n'êtes vous-même pas prudent de me l'avouer. Je pourrais vous vendre. D'ailleurs je pourrais aussi me méfier de vous... qui sait si vous ne m'avez pas... invité ici... pour me voler mes biens ?'' Il désigna avec un sourire le coffre à ses côtés. Il ne prenait pas un instant au sérieux ce qu'il disait. En revanche, les conseils de ce pirate étaient à étudier. Willy prit une nouvelle gorgée du breuvage redoutable ; le rose lui montait aux joues, mais il gardait la face pour l'instant. Son regard se fixa sur celui de son interlocuteur, qu'il dévisagea pendant quelques secondes sans rien dire. Sa décision était déjà prise, mais il avait besoin de formuler la proposition dans son esprit.

''Moi, je préfère m'aventurer à l'intérieur de l'île. Avec un homme tel que vous comme guide, je ne risquerais pas grand-chose, n'est-ce pas, Matt ? Et naturellement, ce sera un service pour un service. En plus de l'argent.''

Il se rappuya contre le dossier de sa chaise, croisa les bras et leva le menton, un air de défi sur le visage, dans la mesure où celui-ci se permettait pour quelques secondes d'être déchiffrable. Un capitaine de pirates qui se balade à terre et invite des inconnus à boire et à bavarder, ce n'est pas très occupé, sans doute. Un peu d'argent honnêtement gagné, pour une fois, ça le changerait de ses habitudes...

Le capitaine Kian s’était levé du bon pied ce matin. Il affichait un sourire et il était évident qu’il était de très bonne humeur. La remarque de Willy sur le fait qu’il pourrait l’avoir amené ici pour le rouler le fit rire. Dire qu’il n’y avait même pas pensé ! Enfin… pas directement en tout cas. Il avait pensé que ça servait toujours d’étendre ses relations, pour trouver des petits boulots plus ou moins honnêtes à faire ou obtenir des informations quand il en avait besoin. Eh oui, le pirate avait son petit réseau social. Il avait eut le temps de l’étendre vu le nombre de jour par an qu’il passait sur terre… Matthew était surement le pirate qui passait le plus de jour à ne pas sillonner les mers et à piller. Un pirate tout à fait anormal, c’était vraiment impressionnant comme il sortait du lot. A croire qu’il le faisait exprès !

Le petit coup d’œil qu’il avait lancé à son coffre l’avait bien fait rire aussi. Et il regarda les singes posés dessus avant de dire avec ironie :

« Vos singes valent tant que ça ? »

Il écouta ensuite avec une attention masquée ce qu’il lui disait. Matt faisait souvent attention à ce qu’on lui dit mais il n’aimait pas le montrer et préférait passer pour un abruti fainéant que pour ce qu’il était vraiment. La comédie pouvait aider parfois.

Ce qui le convaincu le plus d’aller avec ce chinois à l’intérieur de l’ile fut le regard qu’il lui donna à la fin. Il lui lançait un défi et ceci ne faisait que tentait Matt d’avantage, déjà que le danger fort probable de ce lieu l’excitait. Aaah il avait hâte d’y aller mais il ne comptait pas s’avouer vaincu si vite.

« Hum… Ca demande réflexion. Je pourrais risquer ma vie en venant avec toi, tu sais ? »

Il était passé à une ironie plus subtile. Un pirate qui avait peur de risquer sa vie ? De qui se moquait-on ? Matt se jouait un peu de lui, il voulait voir jusqu’où il était prêt à aller pour le prendre comme guide. Ce pirate n’était pas le seul guide possible mais le seul qu’il pourrait croire suffisamment honnête.

« J’aimerais savoir si en plus de guide, je dois faire garde du corps ou si tu te débrouilles un peu avec un arme. Et j’aimerais faire un petit combat amical contre toi, sachant que tu choisis l’arme de ton choix. »

C’était du grand n’importe quoi là... C’était du Matt tout craché surtout ! Si Willy disait qu’il se battait mieux avec une arme à feu, Matt aurait du mal à le battre avec son épée. Enfin… Nous parlons du Capitaine Kian ici ! Il avait observer avant et n’en avait pas vu. Peut-être c’était-il tromper ? Il serait très amusant que Willy annonce ses singes comme « arme », en tout cas Matt n’avait pas omis cette possibilité dans son calcul, au contraire.

''Je n'ai pas d'armes. Du moins, je ne saurais pas m'en servir. La magie serait mon choix, mais elle me sert surtout à esquiver et à disparaître. Et je ne m'en servirais pas contre vous. Vous êtes un guerrier, vous n'y connaissez rien.''

Il y avait eu un instant de doute où Willy était resté déconcerté : bien sûr qu'il lui demandait de risquer sa vie ! Et il lui promettait une paye en conséquence. N'était-ce pas ainsi que l'on procédait ? La vie n'était-elle pas mise en danger au cours de toutes les activités ? Les bâtisseurs sur leurs échafaudages approximatifs, les plongeurs dans leurs cages précaires, les prostituées qui abordaient des êtres violents et à demi-fous pour se livrer entre leurs mains sales, tous ne risquaient-ils pas leur vie chaque jour pour gagner de quoi la prolonger un peu ? Et cet homme se disait capitaine. Sa vie était le garant de celles de son équipage, une fois en mer. Ne disait-on pas : le capitaine coule avec son navire ?

Ce devait être une plaisanterie. Willy avait beaucoup de mal avec l'humour local. Parfois il manquait une blague, et restait seul à ne pas rire, ses yeux en amande écarquillés sous l'effet de la surprise ; parfois, au contraire, un sourire poli lui échappait alors que son interlocuteur était parfaitement sérieux. Cet homme-là semblait aimer plaisanter. Ce serait une compagnie fatigante, mais un bon professeur, car l'attention de Willy ne devrait jamais se relâcher s'il voulait le comprendre réellement. Sa décision était prise, il engagerait celui-là et pas un autre. Des pieds à la tête, il le détailla avec, à son tour, un demi-sourire, décidé à prouver qu'il pouvait lui aussi plaisanter.

''Je vous proposerais volontiers un affrontement sans violence, sans armes et sans vêtements, mais ce ne serait pas loyal non plus, car je serais certain de gagner.''

Non, il n'avait pas peur du tout. Il se savait encore trop indéchiffrable pour être véritablement approché, hormis par ces animaux qui sautent sur tout ce qui bougent indistinctement, et pour lesquels, étant issu d'une famille aisée et hautaine, il n'avait que mépris. De sa manche, il sortit deux petits objets brillants qu'il posa sur la table ; on aurait dit deux pois.

''Ôtez la peinture qui les rend méconnaissables, et vous verrez que ce sont des perles d'une immense valeur. Une pour trouver la route, et une pour assurer ma sécurité. La troisième n'est pas ici ; elle vous sera remise lorsque nous aurons regagné ce port.''

Matt aimait déconcerter les gens et il voyait que ça marchait très bien sur cette personne androgyne. Un guerrier ? Il n’était pas un guerrier, ou du moins ne s’en considérait pas comme tel. Pour lui, utiliser une épée était plus proche de l’art que de la barbarie. Tout dépendait de son utilisateur. C’était comme avec des pinceaux, certains sont capables de faire des choses merveilleuses et d’autres pas. Tout dépendait du talent, et Matt avait indéniablement du talent dans cette façon de combattre. Le point sur la magie l’intriguait, il n’en avait jamais vraiment vu…

« J’aimerais beaucoup avoir droit à une petite démonstration de magie. »

La tête du pirate lorsqu’il lui annonça qu’il voudrait bien faire un affrontement nu devait être comique. Il ne s’attendait pas à cela et se disait de plus en plus que ce devait être un homme mais finalement… Seules les femmes lui proposaient de se montrer nu. Il avait vu des hommes nus, bien sur, lui en premier d’ailleurs mais ça ne l’intéressait pas. Le problème était qu’il avait dit « certain » donc c’était un homme. Peut-être voulait-il parler d’un combat qui se faisait en Chine. Il se dit que c’était surement cela.

« Tu veux me prendre comme protecteur sans même savoir ce que je vaux ?! C’est risqué, je suis peut-être le plus nul de tous les pirates en combat. »

Ironie quand tu nous tiens. Il ne tenait pas à faire un petit show devant lui, bien qu’il aime se donner en spectacle et que ça ne le dérangerait pas du tout, mais il trouvait cela amusant. Cet homme faisait peut-être un peu trop vite confiance. Il avait de la chance d’être tomber sur Matt et pas un mécréant qui se jouerait de lui.

Il observa avec attention les deux pois bizarres qu’il sortit de sa manche et les attrapa sans gêne pour mieux les observer. Son œil s’était fait pour savoir s’il s’agissait de vrai ou de toc, à force de voir passer des trésors dans ses mains, il n’y avait rien de plus normal. Avec son ongle, il gratta légèrement la peinture qui se trouvait dessus et sourit. C’était vraiment des perles de valeur, ou du moins celle là mais Willy ne semblait pas quelqu’un de malhonnête. Surtout quelqu’un de riche pour l’instant en vérité.

« Magnifique. Elles sont rares. Je n’en ai vu que très rarement. »

Il resta en admiration quelques instants devant la perle puis finalement la reposa devant lui en regardant l’étranger avec un sourire en coin.

« Tu ne me laisses pas vraiment le choix si j’ai bien compris ? Où veux-tu aller exactement ? »

Il acceptait. Il ne le disait pas directement, il n’en voyait pas l’intérêt et il laissait un peu de suspens sur Willy. Ca c’était juste pour son plaisir personnel. Il voulait savoir les détails de l’expédition avant d’accepter ouvertement. Il avait besoin de savoir combien de temps cela lui prendrait et s’il aurait besoin d’aide pour y aller. Cela lui fit penser qu’il n’avait pas vu Eli depuis quelques jours maintenant. Il devrait peut-être s’en inquiéter… Il la savait très douée pour s’attirer des ennuis, pas autant que lui certes, mais à force de passer du temps en sa compagnie il devait l’influencer un peu. Enfin, pas sur vu le caractère de chien qu’elle avait. C’était ce qui faisait son charme, tout comme celui de Matt venait de son extrême différence.

Trois perles comme ce que son interlocuteur venait de lui montrer et il n’aurait pas besoin de voler pendant quelques temps mais surtout…Surtout, il pourrait acheter un navire digne de lui. Un bâtiment qui lui correspondrait à ses attentes. Le capitaine était difficile et voulait un navire qui ne se briserait pas face à des coups de canon. Il était un pirate, c’était des choses auxquelles il s’attendait.

Enfin, il devait d’abord jouer au guide et au protecteur avant de l’obtenir aussi arrêta-t-il de fantasmer.

Sur un grand sourire, Willy découvrit les perles qui lui servaient de dentition ; celles-là devaient avoir moins de valeur aux yeux d'un pirate et d'ailleurs il les exhibait rarement. Mais ayant acquis le guide de son choix et un accord presque officiel, il était fier de lui-même et cette expression de ravissement lui avait brièvement échappé. Il fit rouler les perles en direction de l'homme, ne doutant pas qu'il les rattrapperait. C'était une chose entendue désormais.

''Je veux visiter la tribu la plus ancestrale, la plus primitive que vous me trouverez. La moins influencée par l'empreinte des envahisseurs. Ce sera une expédition d'exploration. Pas de destination précise. Nous ferons demi-tour quand je saurai ce qui m'intéresse, voilà tout. Je répèterai mes tours en chemin ; si vous aimez la magie, vous aurez à la fois le tour et ses trucages.''

Et puisque l'homme avait vraiment envie d'en découdre... Certes, Willy n'en voyait pas l'utilité ; il l'avait vu localiser, rattraper et maîtriser le pickpocket malchanceux qui avait essayé d'officier autour de ses spectateurs un peu plus tôt. La curiosité et la capacité de bondir sur les moindres opportunités étaient de bons outils pour s'en sortir, et Matt les possédait visiblement. Mais à force de lui parler, Willy était curieux aussi. Il continuait d'ailleurs à descendre activement le niveau de son verre de rhum, et ses yeux brillants témoignaient de la perte d'une partie de son jugement.

''On se battra aussi, puisque vous y tenez. Vous me donnerez des leçons. En attendant, si vous voulez montrer de quoi vous êtes capable, provoquez donc quelqu'un en duel. Les occasions ne manquent pas. Mais j'aimerais terminer mon verre paisiblement, si ça ne vous fait rien.''

Sa tête semblait avoir du mal à tenir droit sur ses épaules. Il dormirait bien cette nuit... Et plus de rhum en faisant des affaires. Ce breuvage avait un effet désastreux sur le système nerveux. Il sursauta quand un poids tomba sur son épaule, mais ce n'était pas une main : un petit singe venait aux nouvelles, trouvant son attitude un peu étrange. Certains prenaient même parfois soin de lui quand il était malade. Willy espérait bien ne pas avoir recours à cette extrémité cette fois...

Il regarda son verre, encore désespérément habité par un reste de rhum qui refusait de disparaître par magie. Sa raison lui dictait de tout vider dans la plante verte la plus proche. Mais quelque chose d'autre, qui était beaucoup plus puissant, lui interdisait de se ridiculiser en ne se pliant pas à la coutume locale. Tout autre individu présent dans cette salle aurait vidé le verre ; il fallait qu'il en fasse de même, c'était une question de dignité.

Hrp : Me voila de retour, faut que je me remette dans le bain xD

Un grand sourire illumina le visage de Willy se qui fit rire un peu Matt. Ce n’était pas moqueur, juste un petit rire bref qui exprimait son amusement. Il avait des dents très …intéressantes pour un pirate. Matthew ne le ferait pas mais un autre serait bien capable de venir l’assommer pour lui arracher les dents.

« C’est un sourire bien dangereux que tu as ! Surtout dans le coin. »

Il s’amusait, comme toujours. C’était à croire qu’il ne savait faire que ça. L’idée qu’il puisse voir les dessous de la magie de l’étranger ravissait Matt et il aurait été capable de l’accompagner juste pour ça. Bien sur, il ne crachera pas sur les perles qu’il venait de réceptionner. Ce n’était pas plus mal de gagner un peu d’argent honnêtement. IL pourrait être toujours honnête en devenant corsaire mais il ne fallait pas rêver. Jamais, Ô grand jamais, il ne deviendrait un corsaire. Plutôt être pendu. Il avait sa dignité.

Il fronça un peu les sourcils alors qu’il réfléchissait à une tribu primitive.

« Cannibale ça va ? Je vais me renseigner un peu, je suis plus de la mer que de la terre mais je sais qu’il y a une tribu, la cannibale, qui n’entre jamais en contact avec nous, ou presque vu qu’on connait leur existence. Ils sont à l’intérieur des terres. C’est pas la porte à coté mais c’est faisable. »

Il avait hâte de partir. Il sentait que ça n’allait pas être de tout repos et il adorait quand c’était ainsi.

Oh et ils allaient se battre ? Mais il était au paradis maintenant ! Il ne pouvait espérer mieux. Il se leva et tranquillement avança vers Willy qui lui avait dit de se battre avec qui il voulait parce qu’il voulait finir son verre. Matthew voyait bien que l’étranger n’était pas habitué à cet alcool et même un singe vint aux nouvelles. Enfin, c’était ce que Matt comprit. Il attrapa le verre devant Willy et le finit cul-sec avant de le reposer discrètement devant lui. Personne n’avait vu, c’était comme s’il l’avait fini tout seul.

« Plus de problème de verre maintenant et ces ivrognes ne peuvent pas me battre. Ca ne vaut pas la peine de se battre contre eux. Mais ça serait avec grand plaisir que je t’affronterais et que je t’enseignerais à manier l’épée.»

Rien qu’en combat, le Capitaine Kian jouait au professeur. Il critiquait, constatait. Une vraie plaie en fait. C’était aussi une façon d’énerver mais bon, vous verrez bien en temps voulu. Pour l’instant, il se contentait d’attendre tranquillement appuyé sur un pilier que Willy décide de ce qu’ils allaient faire. Il avait espéré le vexer un peu en finissant son verre pour lui, il faut bien avouer, pour le provoquer et l’inciter à venir se battre contre lui. Il sortit de pièce de sa poche et les posa sur la table pour payer les boissons. Il gardait les perles pour d’autres occasions. Il n’allait pas gaspiller non plus !

Willy écarquilla ses grands yeux noirs et dépités en regardant s'éloigner le verre. Vous avez déjà vu un gamin rejeter un jouet, puis s'y attacher soudain passionnément lorsqu'un autre se met en tête de le lui emprunter ? C'était à peu près ce qu'il ressentait pour le liquide ambré et capiteux qui disparaissait à grande vitesse dans la gorge du pirate. Il se leva d'un coup - quoique le sol parût soudain appartenir davantage à une caravelle secouée par les éléments qu'à une brave taverne bien plantée dans le plancher des vaches - et déclara en frappant à nouveau sur la table :

''Très bien, caballero. A votre disposition.''

Il n'était pas sûr que tous les mots soient à leur place légitime, ou relèvent de la zone linguistique souhaitée, mais l'idée y était. L'indifférence générale de ce lieu de mauvaise vie où les affrontements autrement plus redoutables étaient sans doute légion, la joie évidente de son adversaire à se mesurer à lui, le pressentiment de sa défaite, contribuaient à le piquer suffisamment pour que l'idée d'accepter lui vienne à l'esprit, et l'action déshinibante de l'alcool fit le reste. Il réfléchit une seconde, louchant un peu alors que sa main allait prendre appui à la colonne voisine pour lui assurer une station debout approximative ; puis il ajouta avec nettement moins d'aplomb :

''...Je ne suis pas armé. Vous avez quelque chose à me prêter ?''

Des marques d'attention commençaient à se faire jour aux tables les plus proches ; il entendit quelqu'un encourager le capitaine, précaution inutile mais parfaitement compréhensible ; un autre proposa de lui prêter son sabre avec un grand rire parfaitement irrespectueux. Enfin, il perçut une voix qui réclamait, s'il était mis en déroute, le numéro des costumes. Tiens ? Son public des jours précédents se souvenait de lui ? Fier comme Artaban, Willy salua au hasard.

''Je le ferai. Mais seulement s'il me bat. Les paris sont ouverts !''

Au mot de ''paris'', d'autres têtes se levèrent. C'était fou à quel point certaines notions peuvent être magiques. Un bain de sang, c'était monnaie courante, mais un gain d'or, cela pouvait s'avérer capital. Même s'il se doutait que personne ne parierait sur lui, Willy aimait se trouver ainsi au centre de toutes les attentions. S'il avait été dans son état normal, une petite voix lui aurait dit que c'était dangereux et qu'il valait mieux raser les murs. Là, il n'y était pas du tout.

Sa technique avait marché. Il semblait suffisamment énervé, et bourré surement, pour accepter. Matt affichait un petit sourire satisfait, et amusé aussi avant d’aller sortir l’épée du fourreau du premier pirate qu’il croisait. Il l’observa un peu puis fit une grimace et partit à la recherche d’une autre. Le premier pirate visiblement énervé par l’attitude de Capitaine se leva et l’attrapa par le col :

« Tu te prends pour qui pour refuser mon épée ainsi ? »

Matthew l’observa un peu en arquant un sourcil puis dit avec un sourire moqueur.

« Un fin connaisseur ? »

Il ne lui laissa pas vraiment le temps de réagir qu’il reprit la parole et essayant de se dégager.

« Mais tu permets ? Je dois lui trouver une arme »

Pendant ce temps, Willy faisait monter l’excitation dans le public. Il savait s’y faire, ça se voyait, même si la plupart des paris allaient porter sur Matthew. Ce dernier d’ailleurs se demandait s’il ne devrait pas perdre juste pour emmerder le monde.

Finalement le bourrin relâcha Matt et donna son arme à Willy avec un regard de défi pour Matt qui souriait toujours.

« Bon, tu as ton arme Willy… si elle ne se brise pas entre temps »

Il ne dégainait toujours pas ce qui faisait aussi monter l’excitation du peuple de la taverne. Tranquillement, il fit signe à l’étranger de le suivre dehors, il n’avait pas envie de gaspiller son argent en réparation d’une taverne qui serait détruite à nouveau au prochain combat. Discrètement, il agrippa le bras de Willy pour qu’il puisse avancer sans s’écrouler vu qu’apparemment il avait un peu de mal à tenir debout par lui-même.

Une fois à l’extérieur, il dégaina et se mit en position.

« Met toi dans la même position que moi, c’est la position d’attaque. Si tu te mets comme ceci…*changement de position*[/color=darkblue] tu es en position de défense. Après il te faut tenir l’arme ainsi »[/color]

Il montra comment il tenait son épée. C’était un petit cours improvisé mais il n’avait absolument aucune chance de le battre s’il ne savait pas cela. Il ajouta ensuite avec un petit sourire.

« Mais si tu préfères une autre arme, tu peux changer. Je te laisse le choix, moi je prends celle-ci. »

Il se redressa et fit tourner son épée dans sa main en attendant le verdict. Il serait tout à fait normal qu’il veuille changer, lui-même aurait surement changer s’il ne savait pas manier le genre de lame, ce qui était loin d’être le cas…

Une petite foule les avait suivi dehors et créait un cercle autour d’eux. Matthew gardait le propriétaire de l’arme de Willy à l’œil parce qu’il pressentait qu’il y aurait un coup bas de sa part. Le capitaine l’avait entendu parier sur Willy et ce qui voulait dire qu’il essayerait de tricher, si jamais l’étranger gardait cette arme, pour être sur de gagner son argent. Ca serait en effet un beau montant qu’il se ferait.

Sur le sorcier : un louis. Sur le petit gars bien de chez nous : trois pistoles. Sur l'étranger aux techniques inconnues : cinq doublons. Sur le capitaine renommé : dix cruzades. Cet univers cosmopolite commençait à sortir toute la monnaie contenue dans ses diverses poches secrètes. Willy était surpris de voir tant de personnes aventurer leur argent dans cette entreprise délicate, surtout pour miser sur lui. Il se prit à redouter, un peu de sa raison lui revenant au contact de l'air frais et au moyen de la petite marche dans laquelle le pirate l'avait entraîné, que ces parieurs ne veuillent le lyncher s'il perdait et leur faisait perdre leur mise.

''Nous n'avons plus le choix, je suppose.''

Il observa attentivement les positions enseignées, et les reproduisit avec autant d'adresse que son contrôle approximatif de la station debout lui autorisait. Ce n'était pas son arme de prédilection, il était certain qu'il aurait pu, avec de l'entraînement, devenir brillant au stylet ou à la dague mais cette longue lame à la garde ouvragée avait quelque chose de lourd et d'insurmontable. Peut-être simplement parce qu'il était intimidé. La foule poussait les mêmes cris d'animaux que les parieurs qui entourent les combats de chiens, et l'homme qu'il devait affronter avait l'air de prendre l'affaire dans son ensemble comme un jeu d'enfant. Qu'est-ce qu'il faisait là ? S'il devait fuir une foule mécontente, ses affaires tomberaient entre leurs mains ; on tuerait sa petite troupe de singes savants, on lui volerait ses vêtements et autres possessions, et il n'aurait plus que ses yeux pour pleurer. Il envisageait néanmoins cette possibilité d'un coeur froid et résolu ; quelque chose lui disait qu'il se sortirait de n'importe quelle adversité s'il y mettait la volonté nécessaire.

''Je crois que nous pouvons commencer.''

Dans un mouvement de bravade, il décrivit un moulinet avec la lame pour imiter son professeur ; ce n'était pas une réussite, mais le moulinet arriva à son terme sans qu'il ait lâché l'arme, ce qui était déjà bien en soi. Il se mit en garde, tirant la langue pour mieux se concentrer, et fixa un regard teinté d'appréhension sur l'épée de son adversaire, avant de hocher la tête pour signifier qu'il était prêt. Cela dit, si ça pouvait commencer au ralenti, ça l'arrangerait... Son poing se crispa sur la garde du sabre ; il redoutait par-dessus tout de se voir désarmer comme un débutant.

Devait-il le battre ou non ? Le fait qu’il puisse le battre ne traversait même pas l’esprit du pirate. Il restait tout de même sur ses gardes mais il connaissait suffisamment le maniement de cette arme pour savoir que cet homme n’en avait presque jamais pratiqué. Rien que la façon dont il serrait la garde de peur de lâcher l’épée lui annonçait. Ses positions loin d’être parfaites étaient tout de même de belles imitations de celles de Matt. Il sentait que ce garçon apprendrait avec sérieux et il en sourit à l’avance. Il ne voulait pas le ridiculiser devant cette foule et il devait avouer que le fait qu’une tricherie se prépare rendait les choses beaucoup plus amusantes.

Doucement, il fit un pas en avant et toucha avec sa lame celle de l’autre pour qu’il commence à sentir la sensation. S’il allait directement comme un bourrin, chose qu’il ne faisait pas d’ailleurs, il le ferait perdre l’épée et le ridiculiserait or ce n’était pas du tout dans ses intentions. Il voulait commencer à lui donner quelques notions. Il fit couler sa lame le long de la sienne avant de reculer à nouveau, lui faisant signe de venir à lui. Il avait exécuté tous ses gestes avec une certaine lenteur pour qu’il puisse tenter de les imiter.

Mais j’oublie de vous rapporter un petit détail d’importance. Alors que Matt était proche de Willy, il avait murmuré doucement, autant par provocation que par sérieux :

« Tu préfères gagner ou perdre ? »

Certes son petit sourire devait énerver mais il y avait quelque chose de sérieux dans son regard qui montrait que sa question avait de l’importance. Après tout, il avait parié des choses, bien qu’il n’ait pas tout suivi trop occupé avec l’autre pirate qui voulait absolument prêter son épée en mauvaise état. Il suffisait au capitaine de taper à répétition sur un début de brisure et l’épée tomberait en morceau. Il ne le ferait que lorsqu’elle aura récupéré la main de son propriétaire pour éviter tout ennuie au nouveau venu. Il était prévenant. C’était une des choses qui faisaient qu’on pouvait voir que ce n’était pas un pirate comme les autres. Il était beaucoup moins égoïste que les autres et plus honnête, bien que je ne me risquerais pas à dire qu’il était honnête. Il ne fallait pas exagérer non plus.

Toujours en position, il attendait avec tranquillité l’attaque et la réponse de son employeur. Habituellement, il ne serait pas resté en position. Il ne le faisait que pour qu’il puisse voir comment se tenir. Matthew maitrisait tout cela et pouvait se mettre en position avec rapidité ce qui lui permettait d’avoir l’air déconcentré et loin d’être prêt pour ses adversaires, ce qui les incitent à attaquer en premier.

Le regard du capitaine surveiller ses arrières, il sentait que l’attaque viendrait par là. Ca serait un coup bas, un coup sans honneur, un coup de pirate en soit. Il n’avait pas peur. Il l’attendait avec une certaine impatience. Se battre contre plusieurs personnes en même temps lui permettait d’entrainer sa vitesse et cela ne lui était pas offert tous les jours.

Ting ! Les deux lames en se touchant rendirent un son inattendu, presque agréable. En assistant à des batailles, effrayé et inquiet pour son précieux matériel, Willy avait eu la sensation d'un bruit agressif et insupportable ; maintenant qu'il était impliqué, il en éprouvait plutôt une sorte de fierté, comme un musicien qui parvient à maîtriser un instrument et à en tirer une note. Bien sûr cette épée n'était pas la sienne - il l'aurait choisie plus légère, de loin - mais pour quelques instants c'était à cela que l'on jouait. Il adopta en quelques fractions de secondes une position jumelle de celle de son adversaire, ou professeur, la ligne était mince, et appuya contre son épée, essayant instinctivement de la lier pour le déséquilibrer... il l'avait déjà vu faire, et généralement avec succès, mais ça semblait beaucoup plus facile quand c'étaient les autres. Il fit un pas de retraite en murmurant entre ses dents :

''Je ne peux pas vous dire, j'ai l'habitude de gagner.''

Mais c'était bien sûr une vantardise, comme le prouva immédiatement un destin quelque peu taquin ; Willy avait reculé trop loin et la foule le renvoya en avant d'une bourrade collective, presque au point de le déséquilibrer et de le faire chuter sur l'épée du pirate, qui heureusement gardait un oeil sur leur entourage. Willy avait du mal à tout surveiller en même temps. De plus, il s'était aperçu que quelques petits singes s'étaient perchés sur une enseigne voisine pour l'encourager, ce qui était légèrement perturbant. Il leur siffla de rentrer à l'abri, mais la rumeur de la foule couvrait sa voix.

Il releva les yeux vers le capitaine et tâcha de l'attaquer avec conviction, même s'il avait désormais plus envie de se cacher derrière lui que de lui donner des coups d'épée. Il ne se sentait pas très bien, et ignorait s'il était au juste tout blanc ou tout vert. Tant d'agitation après un verre mal passé était le dernier des comportements qu'il aurait eu spontanément. Il lui arrivait parfois de regretter le confort bourgeois et les coussins de soie de la demeure de ses parents... Presque.

''Finissons-en. Cet endroit est dangereux. Et je ne parle pas pour vous.''

Il lui avait semblé voir briller le métal d'une lame sortie ou d'un canon de revolver dans la foule près d'eux, et s'il ignorait tout à fait à quoi cela pouvait bien servir, quelque chose lui disait que c'était mauvais signe de toute façon. Il tenta une attaque sournoise, un croche-pied pur et simple tandis qu'il forçait à nouveau contre l'épée de l'ennemi sans le moindre espoir de la lui faire lâcher, presque garde contre garde. L'inattendu était parfois ce qui donnait les meilleurs résultats. Il entendit certaines personnes siffler. Eh bien, il aurait voulu les y voir !

Matt bloqua l’attaque, plutôt bien pensée ceci dit, de Willy en souriant. Il avait raison. Ca devenait dangereux. Pour lui ce n’était pas un problème mais s’il devait défendre l’étranger et toute sa troupe poilue, ça serait plus difficile. Le pirate était courageux, voire téméraire mais pas totalement stupide. Il avait remarqué la petite lueur aveuglante dans son dos. Comment pouvait-on être si peu discret ? Dégainer une lame, surtout si petite, et réussir à la mettre dans le soleil. Ca prévenait tout le monde de sa présence.

Il était temps de mettre fin à ce petit jeu et de disparaitre convenablement. A ce moment là, l’homme au poignard voulut donner un coup au capitaine avant de se fondre à nouveau dans la foule surement. Vif et rapide, Matthew se retourna et le désarma en le coupant un peu au niveau de la main. C’était le plus simple et ainsi, il ne pouvait pas le reprendre en main pour attaquer à nouveau sans se faire mal.

Dans l’esprit du pirate, Willy ne l’attaquerait pas dans le dos, parce que oui il lui avait tourné le dos. A cause de cet autre pirate, ça allait vite tourner en bataille générale. D’autres hommes commençaient à sortir leurs armes. Il était temps de partir. C’était le genre de bagarre où on tapait sur celui qui nous tombait sous la main. Bienvenue chez les pirates !

Le cercle n’existerait bientôt plus et Matt attrapa le poignet de Willy.

« C’est le moment de partir, tu peux lâcher l’épée. »

Il l’entraîna à sa suite à travers les gens et le parait d’éventuels coups en leur direction. Ils sortirent assez vite de la masse humaine, enfin, au comportement animal pour le coup. Discrètement, il l’emmena à l’abri dans une ruelle pas loin mais calme et rangea son épée avec un soupir. Il n’aimait pas trop quand ça devenait une foire pareille. S’il avait été seul, il se serait occupé du garçon royalement mais là, il ne savait pas ce que les hommes feraient à son « boss ».

« Ca va ? Pas blessé ? Ca devient souvent comme ça et je trouve pas ça très agréable personnellement. Je ne voulais pas non plus que tu te fasses mal avant de partir. Ca serait dommage. »

Il lui fit un clin d’œil avant de s’inspecter lui-même. Parfois, il découvrait des blessures qu’il n’avait pas senties. Apparemment, il n’en avait pas aujourd’hui. Sa chemise avait certes un peu morflé par endroit mais restait convenable. Il n’était plus un petit aristocrate qui ne supportait pas les chemises trouées. Il considérait juste qu’à partir du moment où elle était trop déchirée et qu’elle ne le couvrait plus, ça ne servait à rien de la mettre. Seules les manches avaient été touchées, ah et un peu au niveau du ventre. Rien de très important quoi. C’était quand ils étaient sortis de la foule, elle avait dû s’accrocher aux ceintures ou à une lame qui passait pas loin.

Tout se passait à peu près normalement, enfin, pour une bagarre de rue plus ou moins mise en scène, et à part ce sentiment de malaise que confère un sale pressentiment... quand soudain, ce fut la folie générale. Willy ne savait plus de quel côté se garder et l'épée était soudain bien trop longue pour manoeuvrer face à une foule. Il ne comptait pas tuer quelqu'un ce jour-là, ni mourir, si c'était évitable ! Comme le pirate semblait encore maîtriser la situation, le saltimbanque s'accrocha à son bras et le suivit en catastrophe. Quelques secondes plus tard, les cris de colère derrière eux commencèrent à diminuer. Etrange d'être en danger de mort un instant et en sécurité l'instant d'après ! Cette vie n'avait rien de stable. Comment pouvait-on vivre ainsi chaque jour de sa vie ?

''Vous êtes tous fous dans ce pays,'' soupira le jeune Chinois en se laissant glisser sur une marche où il reprit son souffle. Et lui était le plus fou de tous, pour avoir choisi un tel individu comme guide dans une jungle hostile et pleine de dangers. Pourvu qu'il ne soit pas du genre à provoquer gratuitement les cannibales ou les colons qu'ils croiseraient sur leur route. Puis Willy songea qu'il n'avait pas été le seul à risquer sa vie, et fut pris d'un léger remords pour se soucier si peu de son nouvel associé. Il jeta un regard en coin au pirate qui inspectait justement les coutures approximatives de sa tenue.

''Et vous, vous êtes sain et sauf ? Si vous avez besoin que je recouse votre vêtement... Merci de ne pas m'avoir simplement corrigé. J'étais très... présomptueux de vous provoquer de cette manière.''

Mais Willy avait le sourire, et il était visible qu'il ne s'excusait pas vraiment. Tout cela n'avait été qu'un jeu ; aucun d'entre eux n'avait réellement eu l'intention de blesser l'autre. Le petit singe nommé Ismael sauta soudain du toit, le faisant sursauter, et se percha sur son épaule. Puis il se mit debout sur les mains en applaudissant avec les pieds, et Willy éclata de rire ; il était à présent parfaitement détendu. Eh bien, ce pirate avait un nouvel admirateur. Le singe, bien évidemment. Willy n'était pas naïf, malgré son jeune âge, au point de se prendre soudain d'admiration pour le premier lunatique qui croiserait sa route et ferait quelques tours impressionnants. Après tout, il était lui-même dans le métier, et savait qu'il y avait toujours un truc.

Bien ! Sa tête commençait à carillonner, et il se rendait compte à présent du voyage épuisant qu'il avait devant lui. Des leçons avec ce type, des aventures que ce même type trouvait amusantes - vu sa façon de s'amuser, ça promettait... Il faudrait prendre des forces avant de se lancer là-dedans, aussi décida-t-il d'arrêter les spectacles d'ici leur départ. Au fait, ils n'avaient pas fixé de date particulière.

''Vous me direz quand vous souhaitez partir. Je ne sais pas de combien de préparatifs vous pouvez avoir besoin.''

Il s’inquiétait pour lui ? Son visage ne disait pas la même chose que sa bouche en tout cas mais Matt n’avait pas besoin que l’on s’inquiète pour lui. Surtout qu’il n’y avait pas lieu de se laisser dévorer par des inquiétudes. Il entendait encore les autres sauvages se battre de là où il était mais ne s’en occupait pas.

« Je vais bien merci et pour la couture, ça ira. J’en ai d’autres de toute façon et je peux encore la mettre comme ça. »

Ca lui donnait un vrai air de pirate comme ça mais s’il disait cela, le garçon pourrait croire que Matt n’en était pas un vrai. Pourtant si, il avait bien passé la plus grande partie de sa vie à sillonner les flots à la recherche de trésors. Certes ces temps-ci il avait un léger problème de navire qui l’empêchait de le faire… il manquait juste le navire en fait mais il pourrait s’en acheter un beau avec ses nouvelles perles. Elles avaient de la valeur, c’était évident.

« Oh et il n’y a pas de mal. C’est moi qui t’es provoqué, tu n’as fait que répondre mais si tu tiens mal l’alcool, évite le rhum. »

Conseil d’ami. Ca lui jouerait des tours et pas de magie comme les siens, surtout vu les dents qu’il avait. Mais bref, cessons de parler de richesse. Il y avait plus important. Il fallait bien qu’il prévoit une date pour partir. Hum… le pirate réfléchissait. Il n’avait plus croisé Eli depuis quelques temps et il n’aurait pas la conscience tranquille tant qu’il ne saurait pas où la jeune travesti était. La date dépendrait donc d’elle. D’ailleurs, si jamais elle s’était mise dans le pétrin, un petit tour à l’intérieur de l’ile ne lui ferait pas de mal ! Même si elle n’était pas dans le pétrin d’ailleurs, comme ça il l’aurait à l’œil. Il faisait mine de non mais il s’inquiétait pour sa petite travestie tout de même.

« Alors, j’ai un ami qui n’a plus donné de signe de vie depuis quelques jours donc je suis un peu inquiet et surtout, il pourra nous accompagner. Il vaut mieux être trois que deux, il pourra porter des vivres comme ça. C’est un bon gaillard. »

Certes du coup il fallait plus de vivre mais, même pour des raisons de sécurité, à trois c’était mieux… Depuis quand Matt s’inquiétait-il de raison de sécurité ? Depuis jamais. C’était juste une excuse. Et le « bon gaillard » était tout à fait ironique mais Willy ne pouvait pas le savoir ça. Il se faisait des blagues pour lui-même maintenant… il était vraiment étrange. Mais bon, ça faisait son charme.

« Tu aimerais partir quand ? Je vais essayer de le trouver dans les jours qui viennent et je l’aurais à temps. Au pire, je te préviendrais pour décaler d’une journée, grand maximum. »

Voila, que dire de plus ? Un lieu de rendez-vous peut-être ? C’est une bonne idée en effet.

« Ah et où je pourrais te trouver ? Parce que tu ne pourras pas me trouver, je bouge constamment ou sinon demande le Capitaine Matthew Kian et tu devrais pouvoir me trouver. Je ne quitterais pas le port »

Il ne pouvait physiquement pas de toute façon, il n’avait pas de navire….

''Oh, je vous fais confiance pour ce qui est de la composition de l'expédition, c'est vous le capitaine !'' déclara Willy en haussant les épaules, trop occupé à chatouiller le petit singe pour faire vraiment attention à ce que le pirate disait. Puis il reprit le fil de ses pensées ; c'était une phrase longue et compliquée, et son cerveau en était resté un peu étourdi. S'il avait pu trouver de la glace et la poser sur son front, il aurait été ravi. Une sieste à l'ombre d'un bâtiment ferait déjà bien l'affaire. ''...Vous voulez dire que cette personne a disparu ?''

Réactivé par les sens que cette phrase pouvait avoir dans un environnement si dangereux, il fronça les sourcils. Peut-être était-ce plus grave que ce que le ton léger et l'expression insouciante du pirate laissaient supposer. Et si ce ''gaillard'' dont il parlait - un mot dont Willy ne situait pas bien le sens, et qui aurait aussi bien pu être positif que négatif en ce qui le concernait - avait définitivement disparu ? L'expédition s'en trouverait-elle reportée, voire annulée ? Certes, il ne connaissait pas ces îles, mais peut-être pouvait-il donner un coup de main pour retrouver cet important monsieur. Il se leva et posa la main sur l'épaule de son interlocuteur en se composant un air décidé :

''Si je peux vous aider à retrouver votre ami, dites-moi. Nous sommes associés, à présent.''

Cela dit, il comprenait très bien qu'on puisse préférer refuser ses offres de service plus encombrantes que réellement secourables dans certains cas, et se hâta d'ajouter : ''Je loge chez Sunna, une demoiselle très jolie qui vend des fruits, c'est... du côté du port, une bâtisse blanche avec des fleurs rouges qui tombent de la fenêtre. Non loin de là, il y a une taverne. Son enseigne représente un chapeau.'' Il manquait de vocabulaire pour continuer dans cette voix, et fit un petit geste d'excuse pour montrer qu'il arrivait à ses limites linguistiques.

Il sourit en voyant le visage de l’étranger, et accessoirement son ‘patron’, prendre un air plus sérieux en demandant si Eli, sans utiliser le prénom bien sur, avait disparu. Il devait déjà commencer à s’imaginer des choses graves et abracadabrantes… enfin c’était plutôt le genre de Matt de faire cela, même s’il n’était pas une personne de nature pessimiste. Willy proposa son aide au pirate ce qui le fit sourire de plus belle. C’était une offre bien généreuse qu’il déclinerait.

« Non, il ne faut pas trop s’inquiéter. Il est juste du genre à se mettre un peu des problèmes à dos, c’est aussi pour ça que je veux qu’il vienne. Ca lui fera une pause. »

Il rit un peu. C’était bien sur ironique et exagéré mais il n’avait pas pensé que ça pourrait peut-être effrayé le voyageur ou tout simplement ne pas lui donner envie de prendre un aimant à emmerdes. Ca serait une pensée tout à fait sensée et compréhensible.

Vint ensuite la description de son lieu. A partir du moment où il avait dit « une demoiselle très jolie qui vend des fruits », le capitaine comprit de qui il s’agissait. Le prénom avait eu une consonance familière mais mettre des visages sur des prénoms n’étaient pas toujours chose aisée. Surtout quand on aimait les coups d’un soir, enfin, quand on était un pirate en fait.

« Je vois parfaitement où c’est. Dès que je serais prêt, je passerais de prévenir. Ne t’inquiète pas, l’absence de mon ami ne sera pas indéfinie et ne fera pas annulé le voyage. »

Vu comme il avait insisté sur son ami, il avait eu un peu peur qu’il puisse penser que le voyage serait annulé ou extrêmement reporté si jamais il ne trouvait plus Eli, or c’était faux. S’il ne la trouvait plus… il la trouverait quand même. Il était sur qu’il la trouverait au fin fond d’un problème mais il la trouverait. De toute façon, l’autre option n’était même pas envisageable.

Sur ce, il décida de raccompagner son jeune patron là où il reposait.

« Je pense qu’un peu de repos ne te ferait pas de mal après l’alcool et puis on se reverra en temps voulu. Je te raccompagne. »

Il ne voudrait pas qu’il lui arrive quelque chose en chemin. Il trouvait ce garçon amusant et l’aimait bien. Il marchait tranquillement en direction de la vendeuse de fruit et tendis la main vers le petit singe qu’il avait sur l’épaule pour lui caresser le dessus du crâne, en espérant qu’il ne le mordra pas…
Une fois qu’il aura atteint le lieu où logeait ce cher Willy, il partirait chercher des informations sur où se trouvent Eli. Le plus tôt il la trouvait, le mieux ça serait…

The End