Rendez-vous à la tombée de la nuit [Zhen]

Le soleil tombait doucement sur les habitations qui peuplaient les quais. Bailee se déplaçait au même rythme, enroulée dans une cape noire. Son visage était masqué par sa capuche trop grande qui le gardait dans l’ombre. Elle préférait rester discrète dans ce genre de lieu plutôt que faire étalage de sa richesse, chose qu’elle faisait durant les fêtes. Ainsi, elle évitait de se faire harceler par les mendiants qui désirent une pièce pour pouvoir manger. Ces comportements l’agacent. S’ils désiraient de l’argent, ils n’avaient qu’à devenir corsaires. Lorsqu’elle leur disait cela, parce qu’elle ne se gênait bien sur pas, ils la regardaient avec un air offensé.

« Moi vivant, jamais je ne deviendrais un corsaire ! Je suis un pirate Madame ! Un pirate ! »

A ce genre de réponse, elle répondait par un sourire amusé et cette phrase :

« Si vous êtes un pirate, que faîtes vous ici à mendier alors que vous pourriez tout simplement me voler ou piller un village avec le reste de l’équipage. »

A ceci, elle avait toujours droit à un regard mauvais, parfois un petit grognement mais dans quasiment tous les cas, ils s’éloignaient pour aller demander à une autre personne qui aurait moins de réparti. Parfois quelques uns tentent de la voler pour se venger. Grave erreur… Bailee se promène toujours avec un poignard caché quelque part sur elle mais facile d’accès. Elle sait manier cette arme avec adresse et se débarrasse ainsi de ces personnes un peu trop collantes. Elle ne les tue pas mais sentir une lame froide contre sa gorge ou, lorsque cela se passe dans des rues un peu trop peuplées, sur son ventre, ça donne des sueurs froides et calme ses envies.

Les quais se vidaient dans une sorte de hâte consciencieuse. Les magasins fermaient vite mais bien. Les propriétaires ne voulaient pas qu’on leur vole quelque chose pendant la nuit mais ils avaient hâte de rentrer chez eux pour un diner familial ou d’aller à la taverne boire un bon verre de rhum. A partir du moment où il y avait une motivation, le travail s’exécutait beaucoup plus vite et Bailee avait pris note de cela depuis quelques temps. Certains étaient pressés non pas d’aller boire mais de s’offrir des plaisirs féminins, choses que l’aristocrate trouvait déplorable. Il suffisait d’user d’un peu de tact et de séduction pour obtenir ce que l’on désire, elle le savait mieux que personne. Quoique… un être ait attiré son attention. Matthew Kian…Capitaine Matthew Kian, pardon. Cet homme avait attisé sa curiosité à partir du moment où il réussit à humilier son cher Edward Griffith. C’était un coup de maître. Il avait voulu pendre un jeune homme que visiblement, le capitaine appréciait et celui-ci le sauva. C’était impressionnant. On ne sauvait pas quelqu’un d’une pendaison sans risque…très grands risques d’ailleurs mais il le fit. Elle savait bien que le danger n’était pas un problème pour les pirates mais la loyauté, elle n’avait jamais vu cela et après l’avoir observé quelques temps, elle trouvait qu’il y avait quelque chose chez lui qui ne collait pas avec son personnage… Il était extrêmement différent des autres pirates et Bailee sentait qu’à chaque fois qu’elle était sur le point de comprendre ce qui le différenciait tant, ça lui glissait entre les doigts sans qu’elle ne puisse s’accrocher ne serait-ce qu’un peu…

Mais elle n’était pas là pour lui ce soir. Elle était venue pour un autre homme, un certain Zhen Juan. Kun. Elle l’avait invité à la rejoindre aux quais à la tombée de la nuit sans préciser de raison. Elle espérait qu’ainsi elle attiserait sa curiosité et l’inciterait à venir. Si jamais il ne venait pas, il aurait l’honneur d’être la cible de certains coups bas qu’elle effectuait sans pitié. On ne posait pas de lapin à Mlle. Storm. Elle pouvait mais pas les autres. La jeune femme était en effet du style « Fais ce que je te dis mais ne fais pas ce que je fais et ne me dis pas ce que je dois faire. ». Un tantinet tyrannique visiblement mais elle savait le cacher un peu. Il fallait un fort caractère de toute façon pour atteindre son but. Elle désirait la place d’Edward mais elle hésitait. Devrait-elle attendre la mort du gouverneur en se rapprochant de son Edward pour être sure d’obtenir le post qu’il laissera vacant après être monté sur le siège du gouverneur ou devrait-elle le faire sauter et prendre sa place directement ? La deuxième possibilité l’attirait beaucoup plus mais serait bien plus difficile à mettre en place et si jamais le gouverneur venait à mourir avant, elle y perdrait… Sauf qu’elle pouvait faire les deux en même temps en jouant un double jeu. Un avec Edward et un autre caché. Cette idée la fit sourire. Elle aimait les défis et c’était un défi de taille qu’elle venait de se mettre.

Des bruits de pas la sortirent de ses pensées. Son invité était-il arrivé ? Les quais s’étaient bien vidés et seules quelques âmes erraient encore dessus. La jeune femme s’était arrêtée pour s’appuyer contre une des nombreuses caisses en bois de marchandises. Elle n’avait pas peur de se salir, ce n’était pas la première fois qu’elle venait ici et savait ne pas se rendre ridicule pour des broutilles pareilles.

Elle avait précisé dans son billet qu’il pourrait la reconnaitre grâce aux billes qu’elle tenait dans sa main. En effet, deux billes étaient dans sa main droite et à rythme régulier, échangeaient de place. Ce geste était devenu un reflexe, elle le faisait inconsciemment. Ses deux billes roulaient l’une sur l’autre. Deux billes translucides de couleurs différentes. Une noire et une rouge. Bailee se considérant plus comme la bille rouge. Son corsaire serait donc la noire ce soir.

Le silence de la nuit qui l’entourait n’était brisé que par ce roulement incessant dans son gant et par les petites vagues que l’océan envoyait, faisant monter et descendre inlassablement les bateaux amarrés. Celles-ci s’écrasaient contre le mur de pierre qui déterminait le commencement de la partie praticable pour les êtres terrestres. Parfois, dû à une trop grande générosité de cette étendue d’eau salée, une vague plus forte remuait un peu trop les navires qui s’entrechoquaient les uns sur les autres.

Les bruits de pas avaient cessé. Etait-il face à elle maintenant ou bien était-ce une autre personne qui avait continué son chemin dans une des nombreuses ruelles ? Il lui suffirait d’ouvrir un œil pour le savoir mais elle aimait garder le suspens… Si c’était lui, elle serait bientôt fixée. Si ce n’était pas lui, elle resterait appuyé contre cette caisse en bois humide à l’attendre, gardant ses yeux clos.

Son nom et son prénom résonnèrent dans la nuit. C’était donc bien lui. Elle stoppa son jeu incessant avec ses billes et ouvrit les yeux. Un petit sourire se dessina sur ses lèvres. Elle l’observa de la tête aux pieds et répondit enfin à sa question.

« En personne. »

Elle aimait répondre cela dans ce genre de situation, bien que cela n’arrivait pas tous les quatre matins.

« Je suis ravie de vous voir ici, mon cher. »

Les billes n’étant plus d’aucune utilité, elle les glissa dans une poche de son pantalon. Et oui, elle n’avait pas pris de robe pour ce soir. Elle ne savait pas où cela la mènerait et elle préférait être en état de courir en cas de besoin. En robe et talons, c’était bien plus dur et puis, elle était plus à l’aise ainsi pour sortir en général de toute façon.

Finalement, elle se décida à dévoiler son visage à l’homme. Maintenant qu’il était là, c’était impoli de sa part que de rester dans l’ombre de sa capuche aussi l’abaissa-t-elle. Ses cheveux lâchés ondulaient légèrement autour de son visage et leur couleur foncé faisait qu’ils n’attiraient pas toute l’attention. Ses yeux prenaient le relais de leur bleu clair. C’était un soir de pleine lune. Elle ne l’avait pas fait mais ça tombait bien. Ca mettait dans une ambiance un peu plus… romantique ? Enfin, là n’était pas le point. Le rapport avec ses yeux étaient que la lune les éclairait de sa lueur blanche. Son regard dévorait l’homme en face d’elle. Il faisait cela avec toutes personnes qui se trouvaient en face d’elle, ce n’était pas (totalement) volontaire. Le visage impassible de Zhen l’amusait particulièrement. Elle comptait bien le faire changer d’expression à un moment ou à un autre mais elle savait que ce n’était pas gagné d’avance. Il lui changeait de ces hommes faciles qu’elle rencontrait ces temps-ci… Le jeune Griffith mis à part bien sur. Il était loin d’être facile mais c’était différent avec lui. C’était un jeu qu’ils faisaient à deux. Ils étaient de la même graine. Le corsaire était totalement différent d’eux mais elle sentait que ça serait amusant et instructif.

« Je suppose que tu te demandes pourquoi je te fais venir alors que l’on ne se connait même pas. »

Elle avait toujours un petit sourire amusé sur les lèvres, qui était charmant aussi.

« Sache déjà que je ne fais pas cela avec tout le monde mais j’avais besoin de te rencontrer…seule. »

Elle laissait un peu de mystère planer. Ca mettait un peu de piment dans l’histoire. Si elle lui disait tout de suite, tout serait perdu et il partirait directement. Non, non ca serait extrêmement mal jouer que de jouer cartes sur table. D’autant plus que c’était loin d’être le genre de Bailee que de dévoiler tout son jeu. Elle gardait toujours une ou deux cartes dans sa manche en joker. Être à court de ressources serait la pire des choses qui pourrait lui arriver…Enfin, elle pouvait toujours improviser. Elle le faisait souvent d’ailleurs. Jamais elle ne prévoyait à la virgule près ce qu’elle allait faire, c’était tout simplement impossible. Elle ne pouvait connaitre les réactions d’un inconnu et elle préférait se garder la surprise plutôt que d’écouter ce que l’on dit à son propos. Les rumeurs n’étaient pas toutes vraies. Il avait surement entendu parler d’elle. Peut-être pensait-il qu’elle l’avait appelé en lui réservant le même sort qu’aux autres hommes ? Peut-être… mais il ne semblait pas ici pour la charmer. Ou en tout cas, il avait une technique très inhabituelle.

« Enfin, pour l’instant que dirais-tu de te promener un peu ou bien préfères-tu aller boire un verre ? »

Elle le provoquait un peu. Elle voulait voir s’il aimait les pirates ou non. Elle savait que la plupart des corsaires les détestaient mais peut-être avait-elle affaire à un cas spécial ? S’il acceptait de boire un verre, il se doutait que ça serait dans une taverne dans le coin… Ou peut-être serait-il gentleman et ne voudrait pas y aller de peur pour la demoiselle qu’elle est ? Ca serait très amusant pour Bailee cela. Elle ne se sentirait pas vexée. Au contraire, elle préférait qu’on pense qu’elle était sans défense, ça lui laissait un effet de surprise lorsqu’elle ripostait à une éventuelle agression. Enfin, s’il avait un peu jugeote, il se douterait aussi qu’une femme n’oserait pas s’aventurer sur les quais, seule, dans le noir sans défense. Elle serait une victime trop facile ou penserait-il qu’elle était naïve à ce point ? Elle se posait beaucoup de questions et avait peu de réponse. Il lui faudrait un peu plus de temps pour être capable de comprendre comment il pense et quelque chose lui disait qu’il lui faudrait plus de temps qu’avec un autre. C’était un défi qu’elle prenait plaisir à relever. Sa nuit allait être bien occupée, pas de doute sur ce point.

Tranquillement, sous cette lune resplendissante, elle attendait sa réponse. Un léger sourire en coin sur les lèvres et ses yeux bleus fixés sur lui, elle attendait. Dans le calme de la nuit, aucun bruit ne venait les perturber. Les quais étaient vraiment déserts si l’on les oubliait. Même les quelques ivrognes semblaient avoir pris congé pour les laisser en paix. C’était un moment rare qu’elle appréciait pleinement tout en en observant les réactions de son invité. Il était venu, c’était déjà un bon point pour elle mais tout se jouerait maintenant…

Il avait choisi d’aller boire un verre. Bien à lui, ce n’était pas la première fois que la jeune femme mettait les pieds dans une taverne, elle survivrait. Elle put constater qu’il n’avait pas l’habitude de parler aux femmes, ou bien qu’il n’aimait pas suivre les manières habituelles. Loin de la déranger, elle le suivit tranquillement en se maintenant pas trop loin de lui. Elle marchait un peu dans son ombre, silencieusement et gracieusement. Ca l’arrangeait bien de ne pas devoir passer son bras autour du sien car ainsi elle pouvait l’observer tranquillement. Il n’était pas très grand mais tout de même assez musclé. Il fallait bien cela pour être un corsaire. Ses cheveux noirs étaient plutôt longs pour un homme mais cela lui allait bien. Enfin, elle n’était pas là pour juger s’il était beau ou pas, cela l’importait peu.

Les bruits caractéristiques des tavernes s’élevaient dans le calme de la nuit. Ils approchaient donc de leur but. Bailee se demandait si le fait d’être avec des pirates ne le dérangeaient pas ou s’il essayait aussi de la tester. Il ne fallait pas mettre de coté que les autres aussi avaient un cerveau. Elle était orgueilleuse certes mais pas idiote. Les cris et les bruits de verres qui se posaient violemment sur la table se faisaient de plus en plus forts jusqu’à devenir assourdissants. Le soupir du corsaire avant d’entrer n’échappa pas à la belle qui le nota avec un petit sourire. Finalement, il n’avait pas l’air d’adorer les pirates ou en tout cas, ce genre de lieu.

Bailee quant à elle avait juste eu une légère hésitation en se demandant si elle remettait sa capuche pour masquer son visage ou si elle la laissait abaisser. Par pure provocation, elle décida de laisser son visage aux yeux de tous. Son entrée ne passa pas aussi inaperçu que celle du jeune homme avant elle. Quelques sifflements auxquels elle répondait par un sourire amusé et moqueur et évidemment, c’était inévitable, le gros lourd qui venait la draguer. A croire qu’il se donnait le mot, il y en avait toujours un dans le coin. Il s’approchait en essayant de prendre un air séduisant et l’attrapait par la taille. Ca n’arrivait pas toujours mais il avait les mains baladeuses le gros lourd du jour. Elle ne comptait pas sur la galanterie de son invité étant donné qu’il n’avait pas l’air de savoir s’y faire avec les femmes. Discrètement, elle dégaina son poignard et le posa contre l’entrejambe de l’homme en lui murmurant :

« Je ne m’approcherais pas plus si j’étais vous »

C’était fou ce que les hommes pouvaient tenir ce qu’ils avaient entre les cuisses. Rien qu’une petite menace et tout de suite, ils reculaient. C’était un peu leur fierté, la preuve de leur virilité. Comme prévu, il recula et la laissa passer, tandis qu’elle rangeait sa lame tout aussi discrètement. Rares étaient les personnes qui l’avaient vu. Son invité ? Peut-être. Il saurait ainsi qu’elle n’était pas totalement insouciante.

Ce court évènement passé, elle s’assit en face de Zhen et ne put retenir un sourire amusé à sa réflexion. Il pensait donc qu’elle ne faisait rien de ses journées ? C’était mignon mais tellement classique.

« Si je te le disais tout de suite, tu partirais n’est-ce pas ? Commandons à boire d’abord. Je doute qu’il y ait beaucoup de boisson pour palais délicat en ce lieu, un rhum vous ira donc je suppose ? »

C’était une question rhétorique étant donné que d’un claquement de doigt elle attirait l’attention du serveur et faisait signe de deux, toujours avec sa main. Pas besoin de plus, il avait bien compris et arriva vite avec les boissons. Une femme qui buvait du rhum n’était pas courant dans l’aristocratie mais Bailee n’était pas comme les autres.

« Si vous voulez savoir mon emploi du temps de la journée, le voici. J’ai fait une promenade matinale à cheval, comme la plupart des matins. Ensuite je me suis occupée de toute la paperasse qui était sur mon bureau. Je vous ai fait envoyer le billet dans lequel je vous demandais un rendez-vous. Qu’ai-je fait d’autres ? Ah oui, je suis allée me promener un peu dans le coin. Fort intéressant n’est-ce pas ? »

Elle était aussi ironique et sa journée n’était pas tout à fait celle-ci mais il n’avait pas besoin de savoir cela. Elle n’avait pas menti, juste laissé des informations sous silence. Ce qu’elle faisait ne regardait qu’elle, surtout vu ce qu’elle faisait.

Elle attrapa son verre et trempa ses lèvres dedans pour en boire une gorgée. Elle n’avait pas trop de problème avec l’alcool mais préférait savourer que de boire d’une seule traite tout le contenu du verre. Elle laissait cela à ces chers pirates, derrière elle.

« Cessons de parler de moi et parlons un peu de toi. Serait-ce trop indiscret de ma part que de demander ce qui a fait que tu deviennes ce que tu es ? »

Il valait mieux éviter de prononcer le mot corsaire dans cette pièce. A un contre vingt, même le meilleur des escrimeurs n’auraient aucune chance. Elle prolongeait la discussion pour tester sa patience. Elle savait bien qu’à un moment ou à un autre, il en aurait marre qu’elle ne lui dise pas la raison de ce rendez-vous mais garder le mystère l’amusait bien. Elle ne pouvait pas non plus avouer de but en blanc qu’elle avait besoin de tisser des liens pour prendre la place d’Edward Griffith. Un, ca n’inspirait pas du tout à la confiance, et deux, ça serait d’une stupidité aberrante de sa part. Elle lui dirait une raison, bien sur, mais pas tout de suite et pas celle-là…

Il mentait. Bailee aurait pu le dire avant même qu'il ne le précise. C'était tellement évidement mais il n'avait pas chercher à rendre ce mensonge réaliste bien sur.

« Pas besoin de préciser, je ne suis pas stupide, tu sais. »

Il fallait avouer qu'elle n'aimait pas trop qu'on la prenne de haut et cet homme commençait à le faire. Elle avait été gentille jusque maintenant mais s'il la prenait ainsi, ça allait vite se finir. La fin de son verre fut vite englouti et l'alcool fort enflamma sa gorge. Elle n'en montra rien et ne toussa pas. Elle déglutit avant de reprendre la parole.

« Je vois que tu n'as pas soif. Le fait que je boive du rhum t'étonnerait-il ? Je suppose que je vais devoir d'abord te raconter mon histoire alors. »

Elle lui sourit. Un sourire qui avait vraiment l'air sincère, et pourtant... cette femme mentait comme elle respirait et comptait bien continuer à le faire. Son doigt se posa sur le bord du verre et se mit à en faire le tour, doucement, dans un sens puis dans l'autre. Elle regardait son doigt puis finalement arrêta et leva les yeux vers Zhen. Son mensonge était prêt. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour le trouver. Elle avait un certain talent pour cela aussi mais elle sentait que ce n'était avec des mensonges qu'elle l'aurait et encore moins avec un jeu de charme. Ce garçon l'intriguait. Il l'énervait mais lui plaisait aussi.

« Par où commencer ? Mon père était un riche homme, il est mort maintenant mais ça doit faire quelques quinzaines d'années qu'il n'est plus. Ma mère, ma vraie mère, était une prostituée du port, ici. J'ai vécu mes premières années avec elle... »

Elle fit une pause en laissant un petit soupir s’échapper de ses lèvres. Un soupir pour donner un air de nostalgie. Ses yeux s'étaient de nouveau posés sur son verre. Elle décroisa ses jambes sous la table pour les croiser dans l'autre sens. Son regard se planta à nouveau dans celui du corsaire et elle reprit son air plus normal, sérieux.

« Tu vois, ça c'est un mensonge que l'on pourrait croire. Je sens juste que ça ne marche pas avec toi alors je serais honnête. Ca ne m'arrive pas souvent, tu peux en être flatter. »

En jouant franc jeu, elle sentait qu'elle le gagnerait plus facilement qu'en le manipulant. Enfin, c'était une autre façon de la manipuler plutôt.

« Je ne sais pas si tu as déjà entendu parler de moi avant que l'on ne se rencontre... »

Elle parlait moins fort. Elle ne parlait pas très fort au début mais elle n'avait pas forcément envie qu'une oreille indiscrète n'entende ce qu'elle disait maintenant. Mieux valait être prudent, vu le vacarme autour d'eux.

« Si tu ne comptes pas boire, on peut aller se promener, on ne s'entend pas parler ici. »

C'était vrai et elle voulait une ambiance plus intime avec le garçon. Ce n'était pas comme si son histoire était tragique ou intéressante mais c'était surtout ses envies qui étaient différentes des autres femmes. Elle se démarquait avec cela, arriverait-elle à capter son attention ? A l'avoir de son côté ? A le faire tomber dans ses filets ? Questions sans réponse. Seul l'avenir lui dira mais elle était confiante. Elle l'avait toujours été.

Elle sortit de sous sa cape une pièce qu'elle posa sur la table avant de remettre sa capuche. La pièce ne suffirait pas pour les deux boissons. Elle ne comptait pas lui offrir. Elle n'avait pas l'impression qu'être gentille l'aiderait à quelque chose avec lui, et puis de toute façon, il n'avait pas bu alors le patron pouvait servir le verre à quelqu'un d'autre. Sur ce, elle se tourna et se dirigea vers la sortie. Elle intercepta le regard mauvais du pirate qu'elle avait remis à sa place plus tôt et un sourire moqueur s'étira sur ses lèvres alors qu'elle atteint la porte.

Une fois sorti, elle se tourna pour voir si le corsaire la suivait. Il ne resterait pas à l'intérieur des siècles non plus donc elle pouvait être sure qu'il sortirait. Elle se glissa dans l'ombre créée par le mur en face de la taverne et l'attendit en silence, comme un prédateur à l'affut pour sa proie. Ce n'était pas pour l'effrayer, juste pour ne pas trop se faire remarquer.

Bailee n'eut pas beaucoup de temps à attendre. Elle l'observa la chercher du regard puis esquissa un sourire en le voyant s'approcher. En parlant de sourire, elle avait réussi à lui en faire décrocher un, elle en était contente. C'était toujours un bon début, à part si c'était un sourire moqueur bien sur.

« Je t’écoute. »

Son regard se planta dans celui du garçon et en silence, ils restèrent comme cela quelques secondes. Le contact s'arrêta lorsqu'elle décida qu'il était temps d'y mettre fin. Pour y le stopper, elle avait tourner les talons pour commencer à marcher et s'éloigner par la même occasion de la source du seul bruit dans les rues désertes à une heure si tardive. Elle repartait vers les quais. Le clapotis de l'eau lui était plus agréable que les hurlements des ivrognes. Tout le long du chemin, elle ne dit rien. Elle se contentait d'avancer et les cris s'élevant de la taverne se faisait de plus en plus lointain. Lorsqu'elle fut satisfaite de leur emplacement, elle se tourna vers Zhen pour se mettre en face de lui et retira sa capuche. Elle savait que ça ne mettait jamais vraiment en confiance de parler avec quelqu'un qui masquait son visage.

« Bon, puisque tu es prêt à m'écouter je peux commencer. »

Elle prit une inspiration avant de commencer.

« Je te passe mon histoire plus que barbante. Le fait que je suis anglaise et aristocrate te suffira largement. Aristocrate veut donc dire riche et de ce fait, mes parents ont voulu me marier dès l'âge de mes seize ans. »

Elle eut un petit rire amusé en voyant ce qu'elle était maintenant. Dire la vérité n'était pas si difficile au final, elle arrivait tout de même à ficeler de manière à avoir une suite logique.

« J'ai, bien sur, refusé. Vois-tu, je ne suis pas le genre de femme que l'on marie si facilement. J'aime ma liberté et je compte bien m'affirmer sans mari. Ca ne serait qu'une gêne... »

En parlant, elle s'était mise à marcher. Tel un lion autour de sa proie, elle avait fait le tour du garçon. Elle s'arrêta à sa hauteur, dans le même sens que lui, face aux navires du port.

« Je ne suis pas comme ses minettes de la noblesse qui parlent dans mon dos et qui parlent de tout le monde dans le dos des autres d'ailleurs. Elles n'ont que cela à faire. Moi je veux aller plus haut. J'ai de l'ambition. »

Elle était totalement ouverte. De toute façon, combien de chance que quelqu'un ne croit cet homme et pas elle. Bailee sera toujours retourné la situation en sa faveur. La manipulation était surement un des ses atouts les plus puissants qu'elle tenait dans sa manche.

Elle fit un pas en avant, puis un autre, avant de se tourner d'un seul coup plantant son regard dans celui du corsaire. Une flamme de détermination s'était allumée dans ses yeux bleus clairs. Elle prouverait plus que des mots à quel point elle était prête à tout pour obtenir ce qu'elle voulait. La jeune femme lui laissait le loisir de deviner quelle place elle visait. Il penserait surement au statut de gouverneur, pourtant, étrangement, elle ne visait pas si haut. Juste en dessous en fait.

Un sourire finit par s'étirer sur ses lèvres et elle rit un peu.

« Je dois surement passer pour une folle maintenant mais je ne t'ai dit que la vérité. Je pense que c'est à ton tour de me raconter ton histoire, ta raison pour être à Kingston. Moi j'y suis parce que je ne voulais pas me marier. C'est aussi simple que cela en fait. »

Elle devait ressembler plus à une petite fille qui voulait réaliser son rêve qu'à une femme raisonnable à ce moment là. Pourtant, une lueur espiègle traversa son regard. Elle ressemblait peut-être à une petit fille mais elle était bien plus dangereuse.

« Je suppose que tu te demandes en quoi tu es lié à cela. Je te dirais surement mais j'en attends un peu de ta part d'abord. »

Il pouvait penser qu'elle avait menti. Il pourrait essayer de lui mentir mais elle doutait de tomber sur quelqu'un d'aussi douée qu'elle. Il y avait bien Edward Griffith qui était de son niveau mais ils étaient rares. Chacun ses points forts, et chacun ses points faibles.

Après avoir monopolisé la conversation si longtemps, elle lui laissait avec une certaine curiosité. Qu'allait-il lui dire ? La vérité ? Ca serait une soirée franc-jeu alors, ça lui changerait des habituels mensonges. Ca demandait moins d'imagination, c'était moins amusant dans un sens mais elle gardait son but de vue et savait qu'elle n'était pas venue pour s'amuser ce soir, c'était sérieux. Même si au fond, elle prenait un peu tout cela pour un jeu dont la partie se terminerait une fois qu'elle aurait atteint le bout, la place qu'elle désire. Il la trouverait surement ivre de pouvoir mais n'était-il pas normal qu'au moins une femme ait envie de monter dans ce milieu si pris par les hommes ? Elle ne voulait pas rester à la maison à s'occuper de son mari ou à ne rien faire. Elle voulait être active, rien de plus, ou presque.